samedi 30 novembre 2013

Russian Circles - Memorial (post-rock/metal/hardcore) [2013]

Après leur Station stratosphérique de 2008, les chicagoans ont eu beaucoup de mal à côtoyer ce niveau de qualité sur les albums qui ont suivi. L’équilibre y était presque parfait, et des morceaux tels que Campaign, Harper Lewis ou Youngblood faisaient tout le sel orgasmique de l’objet. La recette a donc eu tendance à légèrement s’émousser en intensité ces dernières années, en particulier avec un Empros sans relief, jusqu’à aujourd’hui.

Ce qu’on recherche dans la musique des Cercles Russes, ce n’est pas tant l’originalité que l’efficacité. Le trio s’est toujours orienté plus ou moins dans la même direction, entre post-metal/hardcore et post-rock, agrémenté de nappes ambient et de notes scintillantes ou caverneuses. Le cap n’a pas changé avec Memorial, il est au contraire appuyé et déterminé, au point que le sujet de cet article peut parfaitement prétendre à la plus haute marche du podium discographique de Russian Circles. La finesse des compositions ne se perçoit pas tout de suite, comme souvent dans le genre, mais prend tout son sens au bout du second voyage. Le boulot fourni apparaît dantesque et multicouche. Les textures, les arrangements et l’ambiance générale sont peaufinés à l’extrême, pour donner un sentiment de tristesse permanent, pour nous plonger vers les abysses d’une mélancolie rassurante et captivante. Le batteur est à ce propos au sommet de son art, maltraitant vigoureusement les cervicales quand il le faut tout en conservant une fluidité imperturbable, servi par un son ultra percutant. De même pour la basse, s’accouplant parfois avec la guitare dans une symphonie rampante délectable (Burial, Lebaron).

Plus que chaque disque pondu par le groupe, Memorial raconte une histoire, l’intro acoustique Memoriam faisant écho à l’outro éponyme sublime, chantée par l’hypnotique Chelsea Wolfe. Une histoire avant tout instrumentale laissée à la libre interprétation de l’auditeur, un contenu qui nous appartient, qu’on commence fébrilement à extérioriser aux premiers assauts d’un Deficit à la puissance progressive déchirante. La six-cordes, plus abrasive que jamais, use pleinement de l’espace sonore afin d’envahir notre espace intérieur, encouragée par une section rythmique diaboliquement groovy et subtile, où des notes de synthé s’incrustent en apesanteur. 1777 coule alors de source, à base de sonorités spatiales perçantes et un final envoûtant, Cheyenne et Ethel tiennent chacune le rôle de transitions atmosphériques vers un ultime chapitre ébouriffant, dont le climax Lebaron finit de nous rincer les tripes, généreusement. Notons la production de Brendon Curtis (Interpol, EmptyMansions, déjà là sur Geneva et Empros) qui s’est surpassé pour donner toute l’ampleur nécessaire à chaque titre.

On reste effectivement en terre surexploitée, on connaît la plupart de ces riffs par cœur, il y a de ce fait un certain confort d’écoute. Mais Russian Circles témoigne ici d’une implication totale, d’une personnalité indémontable. Souvent comparé au voisin de palier Pelican, le trio de Chicago suit pourtant une voie différente, plus intimiste, introspective, portée par la puissance du propos, un peu à la manière de l'excellent Malval de Shora. Une sensibilité unique, des vibrations fines et massives, des mélodies écorchées mais brillantes, des variables, des opposés, des nuances, Memorial c’est tout ça et sans doute plus encore, malgré sa durée atrocement courte (à peine plus de 36min), ô combien justifiée. Cette fois-ci, Russian Circles file droit, malmène et bouscule tout le monde dans la queue du post-[…] pour s’installer sereinement au premier rang et tailler le bout de gras avec les élites. Masterpiece.

Memorial intégralement disponible sur bandcamp.


Tracklist :
  1. Memoriam
  2. Deficit
  3. 1777
  4. Cheyenne
  5. Burial
  6. Ethel
  7. Lebaron
  8. Memorial

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire