dimanche 20 mars 2016

Hands Up Who Wants To Die - Buffalo buffalo buffalo Buffalo buffalo. (bruit-rock / post-punk) [2012]

Dans la pas si droite lignée des Shellac, Big’N, Hammerhead, The Ex, Fugazi et consorts, le quatuor Irlandais au patronyme qui résonne comme un appel au meurtre - voire au suicide collectif - nous embarque en effet sur des terrains salement accidentés avec son premier album, Buffalo, buffalo, buffalo, Buffalo, buffalo, un titre assez chiant à écrire que je ne mentionnerai donc qu’une seule fois dans cette chronique.

La musique des Dublinois est d’ailleurs synonyme d’inconfort, un peu comme si on restait assis pendant quarante minutes sur un accoudoir de canapé. Mais tout amateur de bruit-rock se complaira dans cette absence de confort. D’avantage lorsque tout ça est exécuté avec un feeling déroutant, et fascinant. HUWWTD ne se contente pas de répéter ses gammes noiseuses punkisantes, il s’évertue à donner une couleur, une identité à chaque titre. La voix, mi-parlée mi-scandée, bénéficie d’un timbre perçant, chargée de douleur salvatrice (Into The Forest, The Scorpion Crawls), quelque part entre Enablers et Unsane. La basse racle en permanence nos esgourdes qui en redemandent, la guitare tranchante régurgite sa crasse farcie de larsens maîtrisés, de dissonance et de grumeaux noise-hardcore (Sailor, Wompy, Why?), mais aussi de quelques notes harmoniques s’extirpant de ce grisant marasme (God of the New Age, Buggy Sandmice, Vergessen, Stopwatch). La discussion est particulièrement fluide entre chaque instrument, le batteur étant gavé d’une amplitude typiquement hardcore, allant même jusqu’à s’envoler sur l’ébouriffant final Fortunado. A signaler l’enregistrement en direct (courant dans le genre), qui donne à ce disque toute la puissance de feu qu’il mérite.

Les Irlandais frappent là où ça fait mal dès leur premier essai en long format, un tour de force déjà blindé de personnalité qui les hisse instantanément aux côtés de leurs ainés. Notez bien ce nom, au cas où ce quartet volcanique passerait près de votre lieu de vie.

En écoute tout à fait intégrale sur bandcamp.

  

Tracklist :
  1. Sailor
  2. God of the New Age
  3. Moke
  4. Into The Forest
  5. Buggy Sandmice
  6. The Scorpion Crawls
  7. Wompy
  8. Vergessen
  9. Why?
  10. Stopwatch
  11. Fortunado

mercredi 16 mars 2016

La folie selon PKD


L’auteur de science-fiction et/ou d’anticipation Philip K. Dick savait dresser le portrait de sa propre folie, en introspection perpétuelle, la tête plongée dans sa machine à écrire. La paranoïa qu’il incarnait ou illustrait souvent est en outre une forme de démence générée par la vérité d’une perception des choses, la vision "réelle" donnée par un individu, désigné de fait comme "fou". Les plus grands "malades" sont ceux qui perçoivent plusieurs vérités parallèles, plusieurs réalités. C’est ce qui ressort notamment des innombrables récits de PKD, écrits sous l’emprise d’amphétamines, ou bien en descente d’amphétamines, c’était son truc les amphétamines en tout cas. "Des acides ? Seulement une fois ou deux" affirmait-il. Un penchant pour les psychotropes qui trouvait particulièrement écho dans son roman Substance Mort (A Scanner Darkly en VO, qui aura droit à une belle adaptation filmique, mise en scène et partiellement animée par l’excellent Richard Linklater), certainement l’œuvre où il s’est le plus livré, où il a exposé ses addictions et angoisses, ses questionnements, ses visions, son état d’esprit altéré, qui nous apparaît d’une extrême justesse aujourd’hui.

Je ne me suis pas enfilé l’entièreté de l’œuvre Dickienne, il y a beaucoup trop de matière pour en faire le tour en une seule vie. Mais nul besoin de maîtriser pleinement la bête pour en capter l’essence (c’est mon adage perso, car je ne maîtrise rien pleinement), saisir tout ce que contient le magma de réflexions et de puissance narrative couchés au milieu de l’espace réduit qu’offrait son appartement californien d’Orange County. Agoraphobe et solitaire patenté, Philip K(indred). Dick laissait libre cours à sa principale addiction, l’écriture, lui permettant de voyager au-delà même des frontières inconscientes, malgré son enfermement permanent. Ses romans et nouvelles les plus complexes ou délirant-e-s (Blade Runner, Ubik, Dr Bloodmoney, Deus Irae, etc) comme les plus sombres ou intimistes (Le Maître du Haut Château, Substance Mort, etc) ont été écrit-e-s là, au sein de cette bulle intemporelle, nourrie par un esprit en mutation permanente, lui-même encouragé par la prise d’amphets, admettons. On peut en effet se questionner sur la qualité de ses rendus si les psychotropes n’avaient pas fait partie de sa vie, mais la base spirituelle était déjà en place, la drogue n’a fait qu’ouvrir certaines portes plus facilement et favoriser le rendement quantitatif. Il n’avait pas besoin de ça pour faire fructifier son imaginaire, et le nôtre à sa lecture.


Je ne remercierai jamais assez ma génitrice (coucou maman) pour m’avoir offert Le Maître du Haut Château vers mes 13-14 ans. J’ai dévoré la chose sans vraiment tout piger, mais quel pied, quelle prose, et un univers uchronique d’une effrayante crédibilité, alors qu’on nous parlait beaucoup de nazis et de seconde guerre mondiale en cours d’histoire à l’époque. L’idée de savoir ce qui aurait pu advenir du monde si l’Axe l’avait emporté sur les Alliés m’intriguait plus que fortement, et j’ai été servi au-delà de mes attentes. K. Dick a osé imaginé le pire comme le moins pire, et l’a retranscrit à merveille, impliquant le lecteur dans le récit, jusque dans la tête de ses personnages, le poussant à la réflexion et à la compréhension du contexte de cette Histoire-là, de ces Etats-Unis "partagés" entre nazis et japonais, de cette Afrique en proie à une "solution finale" chère à Hitler, et autres joyeusetés. Une immersion agréablement dérangeante, la sensation alors inédite d’un cœur qui accélérait ses battements tandis que je lisais, comme lié à ce qui arrivait aux personnages dans quelques situations de panique, d’angoisse, de stress ou de paranoïa tiens (cette Histoire est-elle bien réelle, est-elle la seule ?). 

C’était le cas également avec Substance Mort, roman plus personnel publié en 1977 et d’une importance thérapeutique pour PKD, expurgeant tous ses démons. Fred est Bob Arctor, Dick est Bob Arctor, et nous sommes aussi Bob Arctor, en pleine crise de parano aigüe, entre deux ou plusieurs mondes, au bord d’un gouffre mental permanent, accompagnés d’une éternelle "femme aux cheveux noirs" (ici prénommée Donna), représentation récurrente de sa sœur jumelle, disparue un an après leur naissance commune.

C’est sans doute le plus grand talent de PKD, au-delà de ses visions prophétiques, celui d’avoir trouvé sans l'avoir cherché un équilibre émotionnel dans son écriture, le bon dosage narratif où l’aspect technologique inhérent à la science-fiction est secondaire bien qu’il soit incroyablement réaliste. Les personnages avec toute leur complexité intérieure portent la plupart de ses ouvrages (de ceux que j’ai lu du moins), et il parvient à nous les faire incarner, à nous faire ressentir ce qu’ils ressentent, par une approche aussi bien philosophique que viscérale, questionnant notre humanité au sens large et détaillé du terme. Une réalité alternative et littéraire, un reflet temporellement variable de nos existences où tout semble réel, comme si ça avait toujours été là, à attendre sagement d’être vu, aperçu, ou même vécu.

Beaucoup de mystère entoure encore Philip K. Dick et sa folie supposée, qui dissimulait en fait un esprit libre, ultra créatif et rêveur, parfois drôle ou absurde, profondément bouleversé et bouleversant, remettant en question nos capacités cérébrales insoupçonnées. Car peut-être qu’un jour nous aussi on se rappellera du futur…

A voir en complément : le très fameux documentaire réalisé par Yann Coquart et diffusé récemment sur Arte, Les Mondes de Philip K. Dick, librement disponible sur Youtube :


A lire aussi : le tactilement très cool recueil « Substance Rêve », regroupant Le Maître du Haut Château, Glissement de temps sur Mars, Dr Bloodmoney, Les Joueurs de Titan, Simulacres et En attendant l’année dernière, édité chez Omnibus, au sein d’une collection avec deux autres recueils tout aussi recommandables.

A jouer : Californium, hommage vidéoludique à PKD, édité par Arte, disponible sur Steam pour 10 euros.

mardi 15 mars 2016

OLD // Tapetto Traci - Neurula (jazz-rock spontané) [2009]

A Tant Rêver Du Roi a la "fâcheuse" tendance à proposer des formations de qualité. Ce collectif (qui est donc aussi un label) basé à Pau, participe à la fructification de la scène française en matière de rock plus ou moins énervé en proposant des combos frais tels que Mr Protector, Tetsuo, Calva, les fameux Heliogabale, Kourgane et un bon paquet d’autres qui viennent grossir les rangs de cet effectif de premier choix.

Ici, nous nous intéresserons au cas de Tapetto Traci et son second album, Neurula. Formation pratiquant un crossover jazz-rock-noise joliment maîtrisé, l’on pourrait placer ce quartet instable quelque part entre Zu -pour l’aspect débridé de la base rythmique et les envolées abrasives d’un saxophone, tantôt fiévreux (Déraison, Neurotonic), tantôt allègrement jazzy, voire même bondissant- et Charles Mingus pour les longs mais grisants passages souvent imprévisibles dans leur structure. Ça virevolte dans tous les sens en prenant soin de garder une certaine cohérence dans les enchaînements. L’effet produit donne un sentiment de fluidité accentué par un jeu de batterie polyvalent au groove imparable, ça tape juste et grassement. La progression tout en contretemps de Le Pendule est maîtrisée de bout en bout. Le jeu de guitare et l’aspect progressif de La Danse de l’Atome étant tout simplement renversants. La basse claque sans trembler ni fatiguer. Les cuivres s’emballent, l’ensemble explose et s’insinue dans l’organisme tel un virus que l’on ne veut surtout pas éradiquer.

La suite de l’album va crescendo afin de proposer des ambiances alternées de calme à l’angoisse rampante et de montées en puissance proprement viscérales. Les deux derniers morceaux, Magbarat Alzoar et Modus Operandi en attestent à merveille, d’une longueur de quatorze minutes chacun environ, mêlant guitare sinueuse et lunatique, saxophone grave et menaçant, tapi dans l’ombre, ou alors suave et envoûtant, le tout accompagné par une rythmique parfois concassée mais toujours diablement précise et groovy. Ajoutez à tout cela un enregistrement live qui donne toute sa substance à une musique mettant généreusement en valeur la créativité et la spontanéité de musiciens géniaux.

Exactement le genre de sonorités, assez bien représentées chez nos voisins italiens par exemple, qui semble manquer à la scène rock alternative française aujourd’hui (ndlr: en 2011).

Disque en écoute intégrale et disponible en version digitale par ici.


Tracklist :
  1. Déraison
  2. Le Pendule
  3. Neurotonic
  4. La Danse de l'Atome
  5. Magbarat Alzoar
  6. Modus Operandi