vendredi 9 octobre 2015

Cave In - Until Your Heart Stops (hardcore/post-rock/expérimental) [2002]

Cave In a connu toutes les étapes de la création. Stephen Brodsky (Mutoid Man), son principal compositeur et chanteur/guitariste, en sait quelque chose. Aussi bien influencés par le rock psychédélique que le space ou post-rock, les gars de Methuen, Massachusetts, ont pourtant débuté dans la violence du (punk)hardcore moderne, aux côtés de leurs vieux potes de Converge notamment.

Le groupe explose en 1998 avec un premier album hors-normes, aux fondations hardcore mais aux ambitions déjà multidirectionnelles. Un pavé exténuant, parfois casse-gueule, produit un peu à l’arrache, pétri néanmoins de détermination et de bonnes idées. Idées pour la plupart peaufinées, accentuées sur le reste d’une discographie bordélique mais au contenu exemplaire. Until Your Heart Stops fera date, par son caractère ovniesque, expérimental, flirtant avec le jazzcore d’un Naked City, forcément investi de structures salement tordues. Cet objet dense et anguleux faisait alors entrer Cave In dans le rang de l’excellence du renouveau hardcore, exigeant mais toujours instinctif et n’ayant nécessairement pas conscience de quelconques limites. On parle en fait d’un de ces groupes ultra curieux, qui emmagasine le meilleur d’une ou plusieurs scènes et en digère la synthèse personnalisée, en dépit des imperfections (de jeunesse) citées plus haut.

Une volonté sans bornes qu’on se prendra en pleine tronche dès l’introductif et métallisé Moral Eclipse, foutraque mais tellement rafraîchissant, encore aujourd’hui, suivi plus loin d’un Juggernaut punitif, ainsi que du long et dément The End Of Our Rope Is A Noose, laissant un peu de champ au chant clair, de manière délicieuse, tout comme sur le bipolaire Halo of Flies. Le bug de l’an 2000 n’a même pas encore eu lieu qu’on se mange déjà un pavé au moins aussi vrillé des synapses que le American Nervoso de Botch, sorti l'année d'après. Tout ne fait pas preuve d’une dextérité renversante, mais quelle énergie, quelle fougue et quelle inspiration putain. Des caractéristiques et une spontanéité que Cave In et ses musiciens n’ont vraisemblablement jamais perdu, malgré leurs explorations spatiales et progressives. La tension ne redescendra ici qu’au final grésillant de Controlled Mayhem Then Erupts, traduisant une ouverture vers des sentiers moins accidentés, toujours sans balises.

Until Your Heart Stops fait définitivement partie de ces disques fondateurs d’un hardcore ouvert à un moment où la scène commençait à légèrement s’admirer le nombril. Il y avait Botch, Breach, Converge, The Dillinger Escape Plan, Refused, Coalesce ou encore Vision of Disorder, mais aussi Cave In et feu-Hydra Head Records, ne l’oublions pas, jamais.

Album écoutable intégralement sur Blitzr.


Tracklist :
  1. Moral Eclipse
  2. Terminal Deity
  3. Juggernaut
  4. The End Of Our Rope Is A Noose
  5. Segue 1
  6. Until Your Heart Stops / Segue 2
  7. Halo Of Flies
  8. Bottom Feeder / Segue 3
  9. Ebola
  10. Controlled Mayhem Then Erupt

vendredi 2 octobre 2015

[politics] Le Nez Dans La Merde

Trente ans. Cela fait environ trente longues années (voire plus) qu’on se fait grignoter doucement mais sûrement par « l’hégémonie du grand Capital » comme dirait un certain Georges Abitbol, ou Karl Marx, c’est selon. Comment en est-on arrivés là, nous peuples nés ou amenés au sein d’un des plus grands modèles de « démocratie » au monde ? Qu’est ce qui a fait qu’on se retrouve aujourd’hui avec des milliards de dettes accumulées sur les bras, des kilotonnes de pesticides dans nos champs, et des grands patrons mondialisés soi-disant méritants qui s’engraissent toujours plus chaque année, sans daigner redistribuer le moindre centime d'augmentation à ceux et celles qui font vivre leur entreprise familiale (ou plutôt dynastie) ? Comment a-t-on pu laisser faire cette politique mortifère qui a pu s’étendre tranquillement à travers le monde, veillant soigneusement à étouffer toute entreprise de révolte concrète et globale, durant tout ce temps ?

Un paquet de questions, parmi d'autres, auxquelles on doit résolument s’efforcer de répondre avant de se réveiller le nez dans la merde, devant le fait accompli. Nos actes manqués depuis tant d’années ne doivent/ne peuvent pas rester en l’état, de nombreux moyens existent pour marcher à côté du « système » ou « régime » et anticiper ou accélérer sa chute, tout en se réappropriant certains des outils qu’il a mit naïvement à notre disposition. Une chose est sûre néanmoins, le nombre fera la force et l’effectif des capitalistes dirigeants sur cette planète s’amenuisera d’année en année, logique si l’on observe un accroissement sans fin de la pauvreté mondiale.

L’opinion publique est donc mise à l’épreuve en cette période de lente transition politique, et la brutalité de l’arrivée éventuelle aux manettes de gugusses fascisants est une perspective qu’on ne peut écarter tant que l’opinion sera justement soumise aux assauts médiatiques du capitalisme (ou libéralisme, ou néo-libéralisme, etc.). Des médias généralistes uniformes qui font tout leur possible pour masquer, ridiculiser l’idée d’une alternative durable et cohérente à la machinerie en place, préférant éclairer la diarrhée verbale d’un FN ou d’une Morano inoffensifs sur le plan libéral, puisqu’ils le sont intrinsèquement, libéraux, en faveur de la libre circulation des capitaux mais certainement pas des personnes. La Marine carnassière se rapprocherait d’ailleurs davantage d’une Thatcher que d’un Mussolini, bien qu’un croisement des deux en sa personne ne soit pas improbable, loin de là, vous en conviendrez amis gauchistes. L’accession au pouvoir d’un tel parti nous enfoncerait plus loin et plus durement vers un totalitarisme affirmé (assumé ?), du moins en France, ce qui n’empêcherait pas d’autres pays d’être contaminés, c’est déjà plus ou moins le cas en Europe et Amérique du Nord.  Ces formations éminemment populistes s’appuient sur une opinion faussée car manipulée, usent et abusent de l’ignorance ou de la confusion politique d’électeurs légitimement lassés par le voile élitiste, volontairement imbitable, appliqué sur cette machinerie. En ce sens l’opinion doit être en mesure de comprendre ce qu’on lui propose en tant que personne électrice, elle doit prendre conscience que la politique est bien plus simple à cerner qu’elle ne l’imagine. Elle doit pouvoir se préparer à bousculer ses habitudes, ses mœurs ancrées dans un système qui nous a vu grandir, qui nous a augmenté de besoins inutiles, qui nous a rendu accros – autant culturellement qu’idéologiquement – à des concepts économiques virtuels, à des objectifs de vie matérialistes et absurdes (propriété privée, monospace, piscine, grosse télé, grosse montre, joli corps dans la norme de beauté en vigueur, etc…) dénuées de toute forme de libre-arbitre, guidées surtout par des décennies de publicité de plus en plus intrusives, de cultures « mainstream » qui ont alimenté nombre de fantasmes à l’américaine, de consommation aveugle et de divertissements calibrés, imposés à grands coups de marketing huilé.

Le capitalisme, bien qu’il soit multiple, n’aime pas la réflexion, il n’aime surtout pas que l’on remette en cause son fondement ; engranger du profit, pour quoi, pour qui ? Le capitalisme aime l’ordre et la répression en revanche, il aime que ses petites mains se tuent à la tâche pour des clopinettes et en redemandent car elles n’ont pas le choix, il aime que ces mêmes fourmis ouvrières soient muettes et dociles, sous peine de licenciement (ou autres sanctions plus ou moins « humaines » en fonction des lieux). Le capitalisme est une créature empirique, insidieuse et jamais rassasiée. Son principe de base ne pouvait donner lieu qu’à cette finalité, génératrice de conflits et de terrorisme sciemment entretenus, de quantités astronomiques de morts civiles largement évitables, d’inégalités abyssales entre les plus démunis et les plus blindés, de gaspillage surréaliste en ressources naturelles, de pollution, maladies, corruption, etc. Le bilan de plusieurs décennies de domination capitaliste est là, sous nos yeux, dans nos quartiers, dans nos rues, sur nos trottoirs, dans nos lieux associatifs constamment sur la sellette, ou bien à travers le prisme d’Internet et des réseaux sociaux, outils qui devraient sensément nous permettre de prendre les devants, d’aiguiser notre curiosité, de nous amener à réfléchir au-delà du cadre imposé, le genre d’outils que l’on devrait tous être capables de s’approprier pour servir le bien commun et l’information libre. Force est d’admettre que l’effet escompté n’est pas vraiment là, que ces outils sont déjà investis par les organes de surveillance généralisée et qu’il devient de plus en plus difficile de ne pas subir de censure en des lieux pourtant fondamentalement libérés de tout carcan institutionnel, en plus de se retrouver « fiché » en fonction des sites web visités, étiqueté en tant que consommateur de tel ou tel produit fabriqué on ne sait où ni dans quelles conditions.

On pourrait viser en premier lieu l’éducation des nouvelles générations, mettre en place une forme d’éducation populaire aux médias généralisée, permettre aux plus jeunes (et à quelques adultes volontaires) d’être capables d’analyser l’information et de la trier de manière autonome, sans qu’ils aient besoin qu’on leur indique la marche à suivre. Des initiatives citoyennes sont déjà prises en ce sens depuis des années, mais elles demeurent fatalement minoritaires, et la diffusion de leur existence ne se trouve que sur les réseaux alternatifs, ne pouvant compter quasiment que sur le bouche-à-oreille, quelques journaux indépendants et la curiosité politique de chacun. En voilà une démarche intéressante, qui ne peut hélas s’inscrire que dans la durée, chose que le capitalisme, ses mutations et leur mainmise n’autorisent évidemment pas. Un nouveau palier a été franchi, l’urgence devient alors une réalité.

Les démarches populaires ou citoyennes de longue haleine demeurent absolument nécessaires, mais à elles seules elles ne seront jamais en mesure de casser la machine, certes rouillée à l’usure, mais manifestement épargnée par l’obsolescence programmée… On peut en revanche désassembler la bête, pièce par pièce, en commençant par revendiquer massivement notre droit au salaire à vie par exemple (cf : lire/écouter Bernard Friot et Frédéric Lordon entre autres), quitte à foutre un beau bordel, dans le meilleur des cas sans violences. Le genre d’idée susceptible d’en amener d’autres, de faciliter les démarches déjà en cours, de rassembler suffisamment large puisqu’elle concerne absolument tout le monde, de mettre enfin un pied à l’étrier du basculement sociétal, d’une remise en cause générale, d’une ère de  réflexion et d’action en faveur de ce foutu bien commun, notre bien (culturel, politique, économique) et avant tout celui d’une Nature envers laquelle nous aurions de sérieuses excuses à formuler.

Ces mots ne sont peut-être qu'élucubrations utopistes d'un anarchiste du dimanche à l’heure où la créature aux excroissances aberrantes générée par le capitalisme n’en finit plus d’asseoir son autorité sur les masses encore trop majoritairement assoupies, apeurées ou isolées. Mais je reste convaincu que ces pistes de réflexion, ces initiatives et actions concrètes d’anticipation d’une éventuelle chute salvatrice du dogme de l’argent, sont essentielles, vitales, et appelées à se multiplier afin d’éviter de devoir composer dans le chaos, ou dans le meilleur des cas de continuer à (sur)vivre tant bien que mal dans un contexte plus que désastreux. Pour simplement ne pas se réveiller le nez dans la merde, devant le fait accompli. Et en faire profiter le monde entier.

Et pour mieux saisir en quoi consiste le salaire à vie (selon Bernard Friot), par Usul :


+ Débat fort instructif entre Frédéric Lordon et Bernard Friot :