Le cultissime groupe qui a influencé de près comme de loin plusieurs
générations de musiciens est de retour, pour de bonnes ou mauvaises
raisons (pécuniaires ?). LE groupe qui a donné vie à divers courants de
lourdeur plus ou moins possédés qu’on nomme stoner, doom, sludge ou plus
classiquement heavy metal, le groupe sans lequel le metal - justement -
tel qu’on le connaît aujourd’hui ne serait rien. On ne va pas refaire
l’histoire, il y a d’excellentes biographies à lire ou à relire pour ça
(cf : "La Bête Venue de Birmingham" de Guillaume Roos par ex.). Le fait est que Black Sab'
est bien vivant, évidemment amputé de deux membres essentiels (Ronnie
James "RIP" Dio et Bill Ward), mais un certain Brad Wilk (RATM)
est venu à la rescousse derrière les fûts - bien qu’il n’ait pas le
feeling jazzy de Ward - soutenir les éternels Ozzy, Tony Iommi et Geezer
Butler.
13
n’est pas le titre d’album le plus inspiré mais il a le mérite d’être
cohérent avec son année de sortie, tout comme sa pochette exhibant le
nombre maudit enflammé comme le clou d’un spectacle rituel obscur. Les
34 ans d’inactivité créatrice de ce line-up ne laissaient rien supposer
de glorieux pour ce nouveau disque. On s’attendait même à une
auto-parodie. En fait, ce 13 est plutôt une agréable surprise, passé deux ou trois écoutes partisanes du contre. On retrouve le Black Sab' qui nous avait laissé avec Never Say Die.
Les morceaux sont d’une longueur assez élevée, parfois un peu trop,
mais on se surprend à revenir dessus, le sens de la mélodie facile étant
toujours d'actualité, bien que la plupart des compos manquent
d’innovation par leurs alignements de riffs vus et revus. Bien sûr, on
reste en terrain archi connu, Black Sabbath préfère rester sur ses acquis, et c’est plutôt une bonne chose malgré les multiples défauts qui parsèment cette galette.
Heureusement, papa Rubin (Slayer, SOAD, RHCP, etc) veille aux manettes et redonne une seconde jeunesse au son des vieux briscards. De ce fait, End Of The Beginning
ouvre puissamment l’objet par un riff massif et lancinant, et l’on (re)
découvre un Prince des ténèbres assez en forme, dont le grain de voix
ne semble pas avoir bougé depuis les seventies. Les soli de Iommi
rugissent comme en quarante et ne servent jamais dans la démonstration
crasse. La basse de Butler use de tout son espace pour exprimer la
lourdeur nécessaire aux anglais. God Is Dead? confirme cette
entrée en matière rassurante malgré un refrain agaçant. Iommi est alors
en feu et répand tout son savoir-faire, bien aidé par le groove
reconnaissable de Milk. Ce qui vient ensuite navigue entre le meilleur
et le pire de Black Sabbath. Quasiment chaque titre contient son lot de réjouissances et de déceptions. La ballade de rigueur est bien présente (Zeitgeist), plutôt inspirée mais trop peu aventureuse pour être réellement intéressante. Age Of Reason montre de beaux plans rythmiques mais se fourvoie également dans le refrain niaiseux à outrance. Damaged Soul
rehausse drastiquement le ton qualitatif par son harmonica joliment
implanté et l’ambiance épique qui s’en dégage, un des seuls morceaux
entièrement emballant. Enfin, Dear Father caresse les
oreilles dans le sens du lobe sur sa première moitié, sans bousculer la
mécanique hyper huilée, attaquée plus loin par la rouille, due
certainement à un excès de confort musical.
Le trio de Birmingham
(+ Brad Wilk), bien moins moribond et pathétique qu’on ne le pensait, a
encore des atouts intéressants à faire valoir, privilégiant avec 13
un retour à la période 70/80 non négligeable. On demeure globalement
dans le classique, et c’est bien là le point fort de cet album. Le reste
pouvant parfois s’apparenter à un manque d’inspiration flagrant, ou
bien une manière de s’attirer un succès radiophonique perdu. On attend
de voir ça en concert pour le mythe, malgré tout.
13 disponible sur spotify.
Tracklist :
- End Of The Beginning
- God Is Dead?
- Loner
- Zeitgeist
- Age Of Reason
- Live Forever
- Damaged Soul
- Dear Father
Quel chemin parcouru par les italiens, de leurs débuts black/jazz au jazzcore débridé de Pain Necessary To Know.
Un groupe peut-être instable mais résolument incontournable et
passionnant à bien des niveaux, qui a commencé à régulariser ses sorties
à partir de 2009 et ce Through My Dog’s Eyes,
concept-album écrit du point de vue d’un chien, dans sa relation avec
son maître notamment. Un disque inspiré par le propre canidé de Davide
Tiso (guitariste et pilier fondateur d’ED), en l’occurrence.
Un regard de chien pas forcément battu qui fait dénoter sensiblement la musique d’Ephel Duath de ses précédentes tueries. Une nette touche de blues s'exprime dès Gift, par des mouvements de slide
vicieux et plutôt grisants, la voix est souvent grave (sporadiquement
claire et hallucinée), relativement monocorde, parfois parlée, parfois
légèrement pénible et redondante (Silent Door), peut-être pour
traduire le caractère casse-burnes des chiens. Mais l’on reconnaît sans
mal ce qui fait la majesté du trio, ces envolées mélodiques
imprévisibles et pénétrantes, cette batterie jazz tentaculaire, et ce
grain hardcore qui fait dresser les poils aux moments opportuns (Promenade, Nina, Bark Loud). Alors, attention, on est assez loin de l’agressivité d’un Pain Necessary To Know ou même d’un The Painter’s Palette.
L’ambiance générale est d’ailleurs plutôt détendue, toute proportion
gardée. De nombreux passages laissent une bonne tribune aux notes de
guitare cristallines et bluesy, toujours teintées d’une certaine
noirceur blackisante. Des éléments qui font de cet album le plus
accessible d’Ephel Duath, c’est vrai, bien que j’éviterais de l’offrir à ma grand-mère.
Aussi
bon soit-il et aussi concept-album soit-il - peut-être trop "pensé" -
ce cinquième disque n’a pas la profondeur absolument démente des deux
précédents pavés. Through My Dog’s Eyes mérite son susucre, on peut être fier de lui ("are you [really] proud of me?"),
mais il ne nous poussera pas à revenir dessus outre mesure, malgré sa
qualité indéniable. On préférera l’écoute des grandes sœurs ou l’attente
du petit dernier.
Disponible sur spotify.
Tracklist :
- Gift
- Promenade
- Breed
- Silent Door
- Bella Morte
- Nina
- Guardian
- Spider Shaped Leaves
- Bark Loud
Les brutaux lavallois nous avaient déjà bien massacré les esgourdes en 2010 avec une première mise en bouche (l'EP Birth Of A Decline) brûlante, furieuse et groovy au possible. Un death/hardcore dense et expéditif plutôt inédit par chez nous.
Go Die. One By One annonce la couleur. Ce disque vous agrippe les entrailles dès l’entame de Go Die jusqu’aux dernières secondes de Legacy.
Les titres s’enchaînent avec une troublante fluidité malgré une
débauche de violence permanente. Les corps se démembrent aussi vite que
l’esprit se congestionne. C’est la guerre. La production, assurée par
Amaury Sauvé (aussi batteur du groupe), est tout simplement magistrale.
Chaque détail est perceptible, ce qui encourage à creuser le bestiau
malgré l'instantanéité du groove envoyé. Le death/hardcore de ces
gars-là gagne en hardcore (Ghosts’ Whispers, Loneliness), chatouillant du "post" parfois (Dismember Me, Legacy),
la batterie déployant ses tentacules et sa fougue, les guitares et
basse développant un jeu à la fois véloce, gras et strident, où quelques
grincements et fulgurances Convergiennes se distinguent (We Are Legion),
tout en parvenant à poser des ambiances de fin du monde plus que
convaincantes, soutenues par des voix - l’une "growlée" et l’autre
hurlée/scandée - d’une intensité maladive et démoniaque. Ici, la
technicité du death-metal et le sens du rythme hardcore ne font plus
qu’un. A l'instar du premier long des copains coreux de Birds In Row,
cet album a les arguments de destruction massive suffisants pour
démolir les sous-sols ricains, et ceux du monde entier dans l’absolu. Et
le Hellfest par la même occasion, tiens.
The Brutal Deceiver
racle le fond de ses tripes et nous les présentent sur un plateau
d'argent aux finitions détaillées. Le quintet délivre également une
puissance phénoménale rarement entendue dans le paysage brutal français.
Go Die. One By One
est une réussite à tous les niveaux, une grosse baffe dans ta gueule
qui finira vers le haut de ton top 2013, à condition que tu aies bon
goût en matière de violence musicale...
Tracklist :
- Go Die
- Ghosts' Whispers
- Disclosed Deception
- I Am (My Own) Apocalypse
- Dismember Me
- IIIII I
- Loneliness
- We Are Legion
- JSTFU
- Legacy
Tiens, Equations…Ne
serait-ce pas un groupe de math-rock ? Vous faites bien de poser la
question car on aurait pu en douter avec un patronyme pareil. Les
portugais produisent effectivement quelque chose qui ressemble à du rock
mathématique, avec toutes les références qui vont bien, Don Caballero et And So I Watch You From Afar en tête.
Mais,
à l’instar de notre scène française qualitativement talentueuse, les
petits gars de Porto ne se contentent pas de reproduire à l’identique
les schémas de leurs paires. Ils savent en effet agencer de la mélodie
de haute volée, scrupuleusement, méthodiquement, dans une joyeuse
vélocité, sans toutefois délaisser une fibre punk bien représentée par
des vocalises suraiguës, troublantes voire rebutantes en première
approche, démentes et fascinantes en seconde. Bien que congelées, les
caravelles ne cessent de remuer chaudement afin de se dépêtrer de la
stagnation induite au froid extrême, martelées de rythmiques concassées
par une batterie virtuose, de guitares volatiles contrastées par une
basse souvent massive, ou encore d’un synthé spatial appuyant le groove
ambiant ou les crissements d’un chant qui nuance parfois savoureusement
son hystérie scandée (The Hunter And The Oak, Coronado, Running With Scissors, Domovoi). Les Equations
évoluent de temps à autres en territoire post-hardcorisé, pour mieux
rebondir vers de nouvelles mélodies impromptues, toujours lumineuses
d’ingéniosité. On regrettera juste la courte durée de ce premier album,
bouclé comme il s'est introduit. Le final (qui n’en est pas vraiment un
pour le coup) paraît cependant abrupte, plutôt frustrant.
Frozen Caravels
reste néanmoins un disque novateur, prometteur, gorgé d’intelligence et
d’un sens mélodique assurément génial. Doté d’une personnalité déjà
fortement affirmée pour son jeune âge, il faudra désormais s'appuyer
aussi sur Equations pour entretenir la machine math-rock du futur. Le compte est bon.
Tracklist :
- Poseidon's
- The Hunter And The Oak
- Coronado
- Caravels Or The Geography Of The Unknown
- Joseph, The Gravedigger
- Running With Scissors
- Domovoi
- Hero Cities Of The Soviet Union
- Celestial Mechanics
- Hulls Meet December