mercredi 17 février 2016

Cult Leader - Lightless Walk (hardcore/crust progressif des bas-fonds de Salt Lake City) [2015]

2013 fut l’année témoin de la mort de Gaza, qui, malgré les circonstances atténuantes, nous a laissé un héritage grassouillet constitué de trois albums monolithiques, poisseux et profondément atteints d'une folie toute singulière. Folie qui a trouvé nouvel hôte en Cult Leader, soit Gaza amputé de son vocaliste controversé. La transition fut plutôt rapide car un premier EP est pondu en 2014 (Nothing For Us Here), dans la lignée de No Absolutes In Human Suffering du grand frère, le bassiste ayant pris le micro et ne se montrant de fait pas encore vraiment à l’aise à ce poste. Instrumentalement la touche des gars de Salt Lake City s’est complexifiée sans perdre en intensité, la faute à une cohésion rythmique démente et des ambiances cataclysmiques à se damner. Restait à confirmer ces nouvelles intentions sur la durée d’un album, avec pourquoi pas Kurt Ballou (Converge) aux manettes, faisons les choses bien. Et Lightless Walk se situe largement au-delà du « bien ».

L’ex-bassiste envoie autrement plus efficacement la purée sur le plan vocal, pétri de variations, guttural et maîtrisé jusqu'au bord de la rupture, une progression remarquable en deux ans, bien qu’un peu moins « possédé » que Jon Parkin. En outre on demeure toujours plus fébrile devant la maestria instrumentale déployée, au service de l’étalage de tripailles finement tranchées. Passé un Great I Am introductif, ultra véloce et mal intentionné, nous voilà agrippés dans notre chair par les breaks accidentés de The Sorrow, empreint d’une sauvagerie familière qui semble avoir franchi un nouveau palier. On se souvient des difficultés à reprendre son souffle à l’écoute des disques de Gaza, et bien c’est ce qui nous attend ici, de manière peut-être légèrement plus contenue, à travers des aberrations magnifiques telles Suffer Louder et ses riffs pachydermiques, mutants et vigoureux, à faire jaunir un Coalesce, ou l'imprévisible Broken Blades qui vient renforcer l’animalité prégnante des compositions. L’ensemble tire davantage sur le hardcore mais des moments de répit affirment leur présence, en particulier sur le mélancolique A Good Life parcouru de spoken words, et le très post-hardcore/sludge How Deep It Runs, idéalement placé avant une conclusion éponyme de sept minutes mal éclairées mais brillantes, illustration d’une exténuante marche sans destination, aux mélodies blessées, ponctuellement investies de chœurs lointains, inaccessibles.

Le fantôme de Gaza déambule toujours au milieu des ruines reconstruites par Cult Leader, mais il ne paralyse nullement les velléités créatives de ses fidèles architectes, qui semblent même resurgir encore plus forts des décombres. Lightless Walk est d’ores et déjà la pièce maîtresse d’un groupe qu’on espère voir durer longtemps. Le plus longtemps possible.

Disponible via Bandcamp


Tracklist :
  1. Great I Am
  2. The Sorrower
  3. Sympathetic
  4. Suffer Louder
  5. Broken Blades
  6. A Good Life
  7. Walking Wastelands
  8. Gutter Gods
  9. Hate Offering
  10. How Deep It Runs
  11. Lightless Walk

vendredi 12 février 2016

Manhattan-DIY - ∞ - 15 = ∞ (math-rock/chiptune/noise/post-truc) [2013]

Manhattan-DIY, qu’est-ce que c’est ? Selon les sources de nos sources, il s’agirait d’un duo en provenance de Rouen. On n’en est pas tout à fait certains car des signes troublants semblent indiquer que la mixture chiptune 8 bits / math-rock / noisy post-hardcore ici présentée provienne d'un autre monde, plus exactement d'une exo-planète peuplée d'êtres bipolaires et pixelisés.

Le premier objet non identifié qui nous est parvenu prend la forme d’une galette complète, au nom matheux, comme pour mieux brouiller les pistes, comme si les sonorités dégagées ne se suffisaient pas d’elles-mêmes. Nous voici donc en présence d’un objet plat et circulaire composé de six parties distinctes. Six chapitres d’une durée moyenne de 6 minutes chacun. Part I introduit la chose par le son très reconnaissable d’une Gameboy bidouillée. Cela nous conforte dans une certaine nostalgie geek rassurante mais passagère, la guitare bruyante et déglinguée surgissant alors que nous revivions les plus beaux instants du "Zelda" originel. La déflagration est telle que les sons huit bits en deviennent oppressants, jusqu’à nous vriller les tympans à plusieurs reprises (Part II, Part IV), se mêlant aux loops de guitares abrasives et à la voix écorchée, en instance de rupture constante, screamesque (All Parts), balbutiant divers mots en français. La batterie reste étonnamment terrienne, maniée par un humain vraisemblablement, mais ses capacités à casser les rythmiques en symbiose avec la guitare éveillent quelques soupçons.

L’ensemble demeure extrêmement construit, viscéral, parfois même planant et mystique (Part VI), dans une atmosphère à l’apparence improbable et déstructurée. ∞ - 15 = ∞ est peut-être le premier message véritablement concret venu de l’espace fort lointain, à décrypter soigneusement sur la durée cependant. Cela fait, nous retournerons observer les étoiles en attendant un second message au moins aussi consistant que le premier.

Message audible dans son intégralité sur bandcamp.


Tracklist :
  1. Part I
  2. Part II
  3. Part III
  4. Part IV
  5. Part V
  6. Part VI

samedi 6 février 2016

Zeus! - Motomonotono (noise-rock expérimental à barbes) [2015]

Le duo italien nous avait salement refait le portrait avec ses deux précédents longs, gavés ras la gueule de plans noise multiples, aussi bien investis par le metal, que le punk-hardcore (voire grindcore) ou la musique avant-gardiste. Opera était en ce sens une montagne accidentée difficile à gravir mais la persévérance permettait d’en jouir pleinement une fois au sommet. Après avoir écumé un nombre indécent de planches, Zeus! revient avec de nouvelles intentions de nous péter la gueule, poussant encore plus loin le bouchon de l’expérimentation.

Motomonotono, c’est son nom, et son visuel est une prompte illustration du combat permanent que se livrent Luca et Paolo, où les coups partent sans prévenir dans une ambiance constamment tendue et plus grasse qu’auparavant, plus homogène aussi, malgré quelques souplesses atmosphériques bienvenues mais toujours déstabilisantes, et dissonantes (le central Panta Reich, Phase Terminale). La patte du duo transpire sur chaque titre, en particulier sur les plus belliqueux (Enemy E Core, Colon Hell, Krakatoa), la batterie fait preuve d’encore plus d’assurance dans la profusion de cassures qu’elle s’emploie à étaler sur l’ensemble de l’objet, la basse n’a plus qu’à s’implanter dans ce joyeux bordel afin de créer une osmose assez dérangeante, chose particulièrement flagrante sur les tribaux et fantastiques Rococock Fight et Shifting, alors que le bien nommé Phase Terminale vient confirmer l’excellence et la fulgurance rythmique du tout puissant barbu.

On n’aurait à priori rien à redire sur ce troisième album des Italiens, hormis des longueurs dispensables et un ensemble un peu trop expérimental, délaissant parfois l’intensité pour une complexité exacerbée. Motomonotono n’en n’est pas moins un très bon album de Zeus!, pétri de passages extrêmement grisants, qui porte toutefois assez bien son nom par une certaine monotonie générale. Beaucoup de morceaux se ressemblent dans leur structure et c’est dommage lorsque l’on connaît les capacités créatives de ces deux allumés. Il est de toute manière plus que recommandé de se les farcir en direct, là où ils exposent toute l’étendue de leur talent.

Totalement disponible sur Bandcamp.


Tracklist :
  1. Enemy E Core
  2. Colon Hell
  3. Forza Bruta Ram Attack
  4. San Leather
  5. Krakatoa
  6. Panta Reich
  7. All Your Grind Is Love
  8. Rococock Fight
  9. Shifting
  10. Phase Terminale

jeudi 4 février 2016

Battles - La Di Da Di (math-rock du futur présent) [2015]

On a encore en tête les mélodies vigoureuses de Mirrored, ses rythmes pétés mais gavés de feeling, et son renouvèlement permanent, à travers des titres tels que Race In, Atlas ou Tonto, véritables pépites qui devenaient de magnifiques gourmandises une fois jouées sur scène. On se repasse encore le plus coloré Gloss Drop, bien qu’il ait subit l’amputation d’un de ses membres (Tyondai Braxton), il développait lui aussi de lumineuses idées, soutenues par des vocalistes promptement intégrés aux compositions. Mais l’heure du retour au tout instrumental a sonné pour John Stanier, Ian Williams et Dave Konopka, le nom de l’objet en question ne s’en cache d’ailleurs pas.

Une saveur de Mirrored se fait justement ressentir en ouverture avec The Yabba, empreint de nappes synthétiques, de plans accidentés, mais l’ensemble paraît plus simple à appréhender, bien que ce troisième album contienne son lot de surprises, tout en restant assez homogène. Battles expérimente ici l’aspect minimaliste de sa musique, vise à remplir les espaces en dosant ses intentions, à la recherche d’un équilibre entre complexité et immédiateté. La Di Da Di est sans doute l’album le plus dansant du groupe, des titres comme Dot Net ou Summer Simmer aguichent en ce sens pour mieux nous inciter à y retourner et y déceler de nouvelles sonorités, insondables au premier essai. On est là au cœur de la chimie Battles, mise à nu, explorant des racines africaines plus que jamais présentes, enrobées de ce voile synthétique, force et faiblesse du trio, faisant quelquefois trop disparaître la viscéralité au profit de la performance. Hormis ça, force est d’admettre que ces mecs taquinent toujours sévèrement de leurs instruments et ne sont jamais à court d’idées, preuve en sont les remuants Non-Violence et Dot Com, coulés dans le même moule qu’un Atlas, agrémentés de trouvailles sucrées, baignées dans une ambiance générale assez industrielle, voire mécanique parfois. Une certaine froideur qui donne un intéressant contraste sur les compositions rythmiquement chaleureuses, telle Flora > Fauna qu’on aurait souhaité plus longue.

Battles trace sa route, expérimente peinard, et malgré quelques agacements succincts à l’écoute de ce La Di Da Di, parvient à rester ingénieux, imprévisible et surtout cohérent. Le trio demeure nonchalamment au-dessus de la mêlée par son identité forte et une maitrise instrumentale hors-norme. Attention tout de même à ne pas trop se mordre la queue à l'avenir. 


Tracklist :
  1. The Yabba
  2. Dot Net
  3. Ff Bada
  4. Summer Simmer
  5. Cacio E Pepe
  6. Non-Violence
  7. Dot Com
  8. Tyne Wear
  9. Tricentennial
  10. Megatouch
  11. Flora > Fauna
  12. Luu Le