lundi 25 janvier 2016

Time For Energy - Waterfall EP (gros rock) [2015]

On avait découvert les nantais en 2012 avec un premier EP prometteur bien que perfectible. La mixture power rock/post-hardcore/screamo de Time For Energy souffrait de maladresses, principalement vocales, somme toute assez naturelles pour un premier jet, d’autant plus lorsqu’on entreprend de fusionner les genres.

Les bonhommes ont semble-t-il pris note des éléments à corriger sur leur second EP, Waterfall, cherchant toujours à marier groove, intensité screamo et parties post-hardcore 90’s à une certaine sensibilité pop, cette fois sans tomber dans une mièvrerie quelconque. Les quatre titres ici présents illustrent chacun un gros taf de composition, au service de l’équilibre, donnant au passage une identité plus forte à Time For Energy. Le titre éponyme – qu’on se mange direct dans le faciès – en est le parfait exemple, où le chanteur/hurleur alterne sans sourciller ses parties claires/criées, où la section rythmique casse bien la tronche, sublimée par une guitare mutante, multiple et vigoureuse. A propos de chant, malgré sa maîtrise désormais incontestable, on préfèrera les phases hurlées, autrement plus poignantes. On appréciera également la production, aérée, permettant de jouir pleinement de chaque instrument, comme cette énorme basse sur Bullet, ou Some Words, deux points culminants qui ramènent idéalement dix ans en arrière. On notera enfin la voix parlée sur Obstacle, habillé de post-rock, qui évoquera savoureusement Envy, en français dans le texte.

Time For Energy a trouvé sa voie, assez proche de celle empruntée jadis par les excellents suisses de Shovel, et c’est très cool parce qu’on en manquait cruellement par ici. Plus qu’à espérer l’arrivée prochaine d’un disque long, parce qu’un EP c’est sympa mais ça reste foutrement court, surtout quand c’est bien branlé.

Librement disponible sur Bandcamp.



Tracklist :
  1. Waterfall
  2. Bullet
  3. Some Words
  4. Obstacle

samedi 16 janvier 2016

Hellfest - Le livre [2015]

C’est fait, la dixième édition du plus grand festival français de musiques extrêmes a eu lieu en 2015, l’occasion de faire une synthèse de cette aventure engagée en début de siècle par Benjamin Barbaud, créateur et organisateur du Fury Fest puis du Hellfest, depuis son fief Clissonais.

Clisson, village médiéval imprégné d’architecture italienne, véritable ovni rural au sud-est de Nantes, et lieu plutôt insolite pour accueillir un festival de cette dimension, mais qui deviendra le cadre rêvé pour croiser quelques chevelus à l’accent viking. Et plus spacieux que la Trocardière (à Rezé) qui abritait le Fury Fest jusqu’en 2004, plus confidentiel, à la programmation orientée sur le punk et le hardcore, racines musicales de Ben Barbaud, « deux scènes où l’éthique et l’autogestion occupent une place primordiale ». Le Hellfest est né de cette envie brûlante de partager une passion commune à un paquet de mélomanes dans un pays et une région où ce type de musiques ne connaissait pas de tribune aussi large.

De l’aveu même de Phil Anselmo (chanteur de Pantera, Down et Superjoint Ritual) « ce festival a été construit et nourri par la passion et croyez-moi, ça se sent », explique-t-il dans la préface rédigée par ses soins, pétri d’enthousiasme. Pour ce grand habitué considéré aujourd’hui comme le parrain du Hellfest, rien de plus naturel. Cette préface est d’ailleurs une introduction idéale pour un objet sublime, aussi bien dans le contenu que dans l’aspect, rempli de clichés illustrant à merveille l’esprit ouvert et bon enfant d’un festival hors du commun. Œuvres photographiques signées Ronan Thenadey, présent au sein de l’enfer depuis quasiment les débuts, et trieur en chef de toutes les photos tapissant cet ouvrage. On y trouve aussi le travail du récent Evan Forget, auteur de belles images d’ambiance notamment, parmi une ribambelle de talents aux yeux acérés. Des instantanés aussi touchants qu’hilarants qui transpirent simplement la fête.

L’objet est donc grassement illustré, à travers différentes sections agencées sur plus de 330 pages, couchées sur un papier de qualité supérieure. Toute l’histoire du Hellfest, et toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la chose y sont retranscrites, artistes, bénévoles, techniciens, festivaliers, tout ce qui donne au festival son caractère massivement humain, derrière la scène, devant la scène, autour et sur scène. Un goût pour le partage et une bienveillance rares de la part du staff et au sein du public de tous horizons, dans un évènement de cette taille, d’autant plus dans une France où les grosses machines telles que le Printemps de Bourges, Les Vieilles Charrues ou Rock en Seine s’aseptisent d’année en année. Et pour ne rien gâcher, on y trouve quelques interviews de certains grands noms ayant foulé les planches du Hellfest : Judas Priest, Motörhead, Gojira, At The Gates ou encore Satyricon, en plus d’une sélection aux petits oignons de groupes représentatifs de chaque scène. Il y a assez de matière pour devenir expert sur le sujet, le tout augmenté par la plume bien faite de Lelo Jimmy Batista, rédacteur en chef de Noisey, ayant écrit pour New Noise et Tsugi entre autres.

Qui dit aventure dit anecdotes, et l’histoire du Hellfest n’en manque pas, comme celle de 2004 pour ce qui sera l’avant-dernière édition du Fury Fest au Mans (dont le visuel fut réalisé par l’excellent Derek Hess, coupable de nombreux artworks de disques hardcore/metal), celle où on a vu débarquer les poids lourds Soulfly, Fear Factory, Morbid Angel, mais aussi… Slipknot, épouvantail neo metal à 9 têtes qui a eu droit au lynchage en règle d’une bonne partie du public, équipée de bouteilles pleines d’urine, de clés à molette (et d’un lapin mort…) à balancer pour exprimer son mécontentement. Le groupe ne s’est pas démonté pour autant et a tenu bon durant 30 minutes. Si c’est pas rock n’roll ça, en tout cas bien plus que l’annulation de Korn (autre tête de proue du neo metal) pour cause de pluie quelques éditions plus tard. Sans omettre l’hommage poignant rendu au regretté Patrick Roy, seul député qui a défendu ardemment le festival et plus largement la diversité culturelle à l’Assemblée Nationale, ni de la publicité offerte par les anti-Hellfest représentés notamment par une certaine Christine Boutin, qui de fait aura droit à des t-shirts du meilleur goût à son effigie circulant dans les travées du site. Voilà un échantillon de la folie, de la prise de risques, et du bonheur suscité par l’émergence du Hellfest, profitant du soutien indéfectible d’un public d’acharnés, parfois pointu et casse-couilles, mais toujours porteur de bonnes ondes, alcoolisées ou non, assurément non-violentes. Attention au camping néanmoins si vous comptez vous y rendre, vous risquez de vous retrouver en plein duel de caddies, entre autres situations burlesques susceptibles d’assouplir vos zygomatiques.

Ce livre est une véritable encyclopédie du Hellfest, détaillant sa naissance douloureuse mais salvatrice, son réservoir de groupes/artistes (locaux et internationaux) gargantuesque, les différents courants représentés, la richesse d’une scène extrême en renouvèlement permanent, la masse de personnes ayant participé au rayonnement actuel du festival, et une multitude de détails qui font les grands évènements comme celui-ci. Avant les grassouillets remerciements, on a même droit à un bilan statistique d’une décennie d’activité, duquel on peut extraire trois chiffres pour l’exemple : 285 000 litres de bière écoulés depuis 2006 dans les gosiers de 844 000 festivaliers, comprenant pas moins de 70 nationalités. Ça calme.

Le Hellfest est devenu en quelques années une référence en termes d’évènements de grande ampleur, aussi bien en France qu’en Europe (voire mondialement), au-delà même du cercle d’initiés aux musiques extrêmes. Reste à faire perdurer son existence le plus longtemps possible tout en conservant l’éclectisme musical et l’esprit si particulier, résolument humain, qui l’habite.

L’ouvrage est édité par Hachette, pas vraiment DIY, mais il reste un magnifique cadeau bien épais à (s’)offrir à la première occasion.

Goodbye Diana - s/t (math-rock instrumental et multiple) [2015]

En France on galère à refourguer nos porte-rafales et à recueillir des réfugiés, mais on peut toutefois se targuer d’une scène (math)rock souterraine en pleine expansion depuis dix ans, et qualitativement franchement pas dégueulasse. Pneu, Room 204, Totorro, Ni, Ed Wood Jr, Vélooo et autres Papaye, induisant des labels défricheurs tels que Kythibong, A Tant Rêver Du Roi, Africantape ou Head Records, qui nous abreuvent en effet grassement en plaisirs variés sur leurs sorties respectives. Goodbye Diana est de ceux-là, de ceux qui pèsent réellement dans le paysage rock françois d’aujourd’hui, de l’instrumental multi-influencé, qui suinte l’audace et l’authenticité. Les Montpelliérains n’en sont d’ailleurs pas à leur coup d’essai, puisqu’ils reviennent après sept ans d’absence, amputés d’une branche, pour raviver la flamme d’un rock sans fards ni loi, en trio donc, et ça le fait grave.

On retrouve les ombres de June of 44, Don Caballero et Sleeping People planer sur ces nouvelles compositions, mais Goodbye Diana ne s’est jamais contenté de reproduire bêtement les choses, et c’est toujours le cas. En dehors des plans math-rock et noisy non dénués d’intelligence et de personnalité, on se prend à dodeliner sur quelques phases progressives savoureuses, basse et guitare s’entremêlant dans la grâce et la volupté, avec une souplesse édifiante. Les instruments dialoguent, s’engueulent un peu sèchement au début (Yvon de Chalon), mais s’accordent rapidement pour nous immerger dans ce qu’on pourrait appeler une narration instrumentale, l’album pouvant parfaitement servir de bande son pour une histoire plutôt déviante. La fin de l’objet, et surtout celle de Chuck Norris Is Fucked, rappelle d’ailleurs certains travaux de Mike Patton, ponctuée d’un râle inquiétant, unique voix du disque. L’ouvrage est tellement complet qu’il est tout à fait difficile d'extirper un morceau du lot, l’ensemble casse assez promptement la gueule dans le développement et l’agencement mélodique. La cohérence de la chose – évidemment enregistrée dans les conditions du direct par Serge Morattel – finit par sauter aux oreilles et l’écoute fragmentée n’est plus envisageable, bien que Le Chat Noir, Robert Fripp en Cagoule ou Herbert d’Autoroute (ces noms…) peuvent apparaître comme des points culminants, des climax d’intensité rythmique, via un duo basse/batterie en feu ; et mélodique, au travers d’une guitare aussi chercheuse et moelleuse qu’agressive.

Le retour de Goodbye Diana rajoute une pierre d’envergure à l’édifice troglodyte du rock de nos patelins (math ou non). Plus en forme et inspiré que jamais, moins dans l’urgence, on espère que le trio continuera à entretenir la flamme et que ce bien fameux deuxième album le fera davantage tourner en dehors de sa base sudiste. Comme un nouveau départ.

   
Tracklist :
  1. Yvon de Châlon
  2. Moustache - 34
  3. Le Chat Noir
  4. Gégé - 28
  5. Poilus - 72
  6. Robert Fripp en Cagoule
  7. Jean Pierre
  8. Herbert d'Autoroute
  9. Alan Biquet
  10. Chuck Norris Is Fucked