C’est fait, la dixième édition du plus
grand festival français de musiques extrêmes a eu lieu en 2015,
l’occasion de faire une synthèse de cette aventure engagée en début de
siècle par Benjamin Barbaud, créateur et organisateur du Fury Fest puis
du Hellfest, depuis son fief Clissonais.
Clisson, village médiéval imprégné
d’architecture italienne, véritable ovni rural au sud-est de Nantes, et
lieu plutôt insolite pour accueillir un festival de cette dimension,
mais qui deviendra le cadre rêvé pour croiser quelques chevelus à
l’accent viking. Et plus spacieux que la Trocardière (à Rezé) qui
abritait le Fury Fest jusqu’en 2004, plus confidentiel, à la
programmation orientée sur le punk et le hardcore, racines musicales de
Ben Barbaud, « deux scènes où l’éthique et l’autogestion occupent une
place primordiale ». Le Hellfest est né de cette envie brûlante de
partager une passion commune à un paquet de mélomanes dans un pays et
une région où ce type de musiques ne connaissait pas de tribune aussi
large.
De l’aveu même de Phil Anselmo (chanteur de Pantera, Down et Superjoint Ritual) « ce festival a été construit et nourri par la passion et croyez-moi, ça se sent
», explique-t-il dans la préface rédigée par ses soins, pétri
d’enthousiasme. Pour ce grand habitué considéré aujourd’hui comme le
parrain du Hellfest, rien de plus naturel. Cette préface est d’ailleurs
une introduction idéale pour un objet sublime, aussi bien dans le
contenu que dans l’aspect, rempli de clichés illustrant à merveille
l’esprit ouvert et bon enfant d’un festival hors du commun. Œuvres
photographiques signées Ronan Thenadey, présent au sein de l’enfer
depuis quasiment les débuts, et trieur en chef de toutes les photos
tapissant cet ouvrage. On y trouve aussi le travail du récent Evan
Forget, auteur de belles images d’ambiance notamment, parmi une
ribambelle de talents aux yeux acérés. Des instantanés aussi touchants
qu’hilarants qui transpirent simplement la fête.
L’objet est donc grassement illustré, à
travers différentes sections agencées sur plus de 330 pages, couchées
sur un papier de qualité supérieure. Toute l’histoire du Hellfest, et
toutes les personnes qui ont contribué de près ou de loin à la chose y
sont retranscrites, artistes, bénévoles, techniciens, festivaliers, tout
ce qui donne au festival son caractère massivement humain, derrière la
scène, devant la scène, autour et sur scène. Un goût pour le partage et
une bienveillance rares de la part du staff et au sein du public de tous
horizons, dans un évènement de cette taille, d’autant plus dans une
France où les grosses machines telles que le Printemps de Bourges, Les
Vieilles Charrues ou Rock en Seine s’aseptisent d’année en année. Et
pour ne rien gâcher, on y trouve quelques interviews de certains grands
noms ayant foulé les planches du Hellfest : Judas Priest, Motörhead,
Gojira, At The Gates ou encore Satyricon, en plus d’une sélection aux
petits oignons de groupes représentatifs de chaque scène. Il y a assez
de matière pour devenir expert sur le sujet, le tout augmenté par la
plume bien faite de Lelo Jimmy Batista, rédacteur en chef de Noisey,
ayant écrit pour New Noise et Tsugi entre autres.
Qui dit aventure dit anecdotes, et
l’histoire du Hellfest n’en manque pas, comme celle de 2004 pour ce qui
sera l’avant-dernière édition du Fury Fest au Mans (dont le visuel fut
réalisé par l’excellent Derek Hess, coupable de nombreux artworks de
disques hardcore/metal), celle où on a vu débarquer les poids lourds
Soulfly, Fear Factory, Morbid Angel, mais aussi… Slipknot, épouvantail
neo metal à 9 têtes qui a eu droit au lynchage en règle d’une bonne
partie du public, équipée de bouteilles pleines d’urine, de clés à
molette (et d’un lapin mort…) à balancer pour exprimer son
mécontentement. Le groupe ne s’est pas démonté pour autant et a tenu bon
durant 30 minutes. Si c’est pas rock n’roll ça, en tout cas bien plus
que l’annulation de Korn (autre tête de proue du neo metal) pour cause
de pluie quelques éditions plus tard. Sans omettre l’hommage poignant
rendu au regretté Patrick Roy, seul député qui a défendu ardemment le
festival et plus largement la diversité culturelle à l’Assemblée
Nationale, ni de la publicité offerte par les anti-Hellfest représentés
notamment par une certaine Christine Boutin, qui de fait aura droit à
des t-shirts du meilleur goût à son effigie circulant dans les travées
du site. Voilà un échantillon de la folie, de la prise de risques, et du
bonheur suscité par l’émergence du Hellfest, profitant du soutien
indéfectible d’un public d’acharnés, parfois pointu et casse-couilles,
mais toujours porteur de bonnes ondes, alcoolisées ou non, assurément
non-violentes. Attention au camping néanmoins si vous comptez vous y
rendre, vous risquez de vous retrouver en plein duel de caddies, entre
autres situations burlesques susceptibles d’assouplir vos zygomatiques.
Ce livre est une véritable encyclopédie
du Hellfest, détaillant sa naissance douloureuse mais salvatrice, son
réservoir de groupes/artistes (locaux et internationaux) gargantuesque,
les différents courants représentés, la richesse d’une scène extrême en
renouvèlement permanent, la masse de personnes ayant participé au
rayonnement actuel du festival, et une multitude de détails qui font les
grands évènements comme celui-ci. Avant les grassouillets
remerciements, on a même droit à un bilan statistique d’une décennie
d’activité, duquel on peut extraire trois chiffres pour l’exemple : 285
000 litres de bière écoulés depuis 2006 dans les gosiers de 844 000
festivaliers, comprenant pas moins de 70 nationalités. Ça calme.
Le Hellfest est devenu en quelques
années une référence en termes d’évènements de grande ampleur, aussi
bien en France qu’en Europe (voire mondialement), au-delà même du cercle
d’initiés aux musiques extrêmes. Reste à faire perdurer son existence
le plus longtemps possible tout en conservant l’éclectisme musical et
l’esprit si particulier, résolument humain, qui l’habite.
L’ouvrage est édité par Hachette, pas vraiment DIY, mais il reste un magnifique cadeau bien épais à (s’)offrir à la première occasion.
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