lundi 9 décembre 2013

Mutation - Error 500 (grindcore/noise/expérimental) [2013]

Voilà une formation qui aurait pu sortir de nulle part si ce n’est de la maison Ipecac. Oui, ce label qui propose de manière de plus en plus régulière des sorties qualitativement exponentielles, dont la plupart des adhérents s’éclate à faire fi de toute convention artistique. Error 500 du bien nommé Mutation est le dernier fruit juteux tombé de cet arbre des miracles.

Mutation est un "supergroupe", et qui dit "supergroupe" dit supers musiciens, que sont précisément Ginger Wildheart (The Wildhearts), Shane Embury (Napalm Death), Jon Poole (Cardiacs), soutenus ici par Mark E. Smith (The Fall), Merzbow, Chris Catalyst (Sisters Of Mercy) et j’en passe un régiment. Un casting bigarré, impressionnant, et surtout intriguant, pour un résultat, comment dire... jubilatoire, démentiel, brillant ? Les adjectifs ne manquent pas pour essayer de définir tant bien que mal ce croisement pas si improbable, quelque part entre Fantômas/Mr Bungle, The Dillinger Escape Plan, du grindcore, une pointe d’indus, et Queen (!?). Cela dit, chaque protagoniste et intervenant vient y mettre son grain, de style et de folie dure. La basse d’Embury balaye de son empreinte l’environnement dès les premières secondes de Bracken, en fait tout le monde semble d’accord pour cracher tout ce que chacun peut avoir en lui de maîtrise brutale et de violence heureuse. Ça se vérifie sur Utopia Syndrome, où le guilleret Wildheart chantonne “[…]I’m so happy, I’m so happy, I’m so happy, I could shit[…]”, puis White Leg et ses parties vocales qui semblent extraites d’un sketch du Monty Python. Armé de ses machines bruitistes, Merzbow vient se rajouter à la déconstruction ambiante sur Mutations, tandis que l’épileptique Computer, This Is Not What I… sera en mesure d’évoquer la schizophrénie d’un Zeus!. A signaler impérativement la batterie de Denzil (Young Legionnaire), effrayante de groove et de fulgurance, grassement mise en valeur par la production exceptionnelle de Kevin Vanbergen (Nick Cave, Biffy Clyro).

Car Error 500 n’est évidemment pas un bête disque de grindcore bas-du-front, il est avant tout une créature rythmique, mélodique, électronique, en constante métamorphose, peut-être l’équivalent musical du personnage de Tetsuo, tiré du manga et film d’animation cultes Akira. Une chose organique démesurée aux excroissances évolutives, monstrueuse mais fondamentalement humaine, augmentée d’un second degré désarmant. Comme pour l’écoute d’un Mr Bungle, celle de ce premier objet insolite de Mutation a le potentiel pour nous coller un sourire jusqu’aux oreilles, bien que ces dernières soient martyrisées, avec plaisir. Il est en effet préférable d’être un tantinet masochiste pour apprécier cet album. Par exemple la baston de cordes vocales entre Wildheart et Astick (Hawk Eyes) sur Sun Of White Leg et ses ruptures mélodiques massivement destructrices, Relentless Confliction hanté par un Smith sous acide, tout à fait psychotique, ou ce Benzo Fury presqu'entièrement programmé, entre Aphex Twin et Genghis Tron, conclusion idéale et proprement chaotique.

Bien qu’on ne ressorte pas tout à fait indemne de ce Error 500, son écoute procure l’irrésistible envie d’en découdre une seconde fois, puis une troisième, etc. L’alliance de brutalité exacerbée, de mélodies géniales et d’harmonies lumineuses et impromptues témoigne d’une efficacité hallucinante, due à un travail de composition plutôt extraordinaire, car parvenant à équilibrer et fluidifier ce joyeux bordel tout en conservant une sauvagerie extrême et permanente. Un sublime carnage qui fait de Mutation le meilleur "supergroupe" du monde, sans forcer.



Tracklist :
  1. Bracken
  2. Utopia Syndrome
  3. White Leg
  4. Protein
  5. Mutations
  6. Computer, This Is Not What I...
  7. Sun Of White Leg
  8. Relentless Confliction
  9. Innocentes In Morte
  10. Benzo Fury

samedi 30 novembre 2013

Russian Circles - Memorial (post-rock/metal/hardcore) [2013]

Après leur Station stratosphérique de 2008, les chicagoans ont eu beaucoup de mal à côtoyer ce niveau de qualité sur les albums qui ont suivi. L’équilibre y était presque parfait, et des morceaux tels que Campaign, Harper Lewis ou Youngblood faisaient tout le sel orgasmique de l’objet. La recette a donc eu tendance à légèrement s’émousser en intensité ces dernières années, en particulier avec un Empros sans relief, jusqu’à aujourd’hui.

Ce qu’on recherche dans la musique des Cercles Russes, ce n’est pas tant l’originalité que l’efficacité. Le trio s’est toujours orienté plus ou moins dans la même direction, entre post-metal/hardcore et post-rock, agrémenté de nappes ambient et de notes scintillantes ou caverneuses. Le cap n’a pas changé avec Memorial, il est au contraire appuyé et déterminé, au point que le sujet de cet article peut parfaitement prétendre à la plus haute marche du podium discographique de Russian Circles. La finesse des compositions ne se perçoit pas tout de suite, comme souvent dans le genre, mais prend tout son sens au bout du second voyage. Le boulot fourni apparaît dantesque et multicouche. Les textures, les arrangements et l’ambiance générale sont peaufinés à l’extrême, pour donner un sentiment de tristesse permanent, pour nous plonger vers les abysses d’une mélancolie rassurante et captivante. Le batteur est à ce propos au sommet de son art, maltraitant vigoureusement les cervicales quand il le faut tout en conservant une fluidité imperturbable, servi par un son ultra percutant. De même pour la basse, s’accouplant parfois avec la guitare dans une symphonie rampante délectable (Burial, Lebaron).

Plus que chaque disque pondu par le groupe, Memorial raconte une histoire, l’intro acoustique Memoriam faisant écho à l’outro éponyme sublime, chantée par l’hypnotique Chelsea Wolfe. Une histoire avant tout instrumentale laissée à la libre interprétation de l’auditeur, un contenu qui nous appartient, qu’on commence fébrilement à extérioriser aux premiers assauts d’un Deficit à la puissance progressive déchirante. La six-cordes, plus abrasive que jamais, use pleinement de l’espace sonore afin d’envahir notre espace intérieur, encouragée par une section rythmique diaboliquement groovy et subtile, où des notes de synthé s’incrustent en apesanteur. 1777 coule alors de source, à base de sonorités spatiales perçantes et un final envoûtant, Cheyenne et Ethel tiennent chacune le rôle de transitions atmosphériques vers un ultime chapitre ébouriffant, dont le climax Lebaron finit de nous rincer les tripes, généreusement. Notons la production de Brendon Curtis (Interpol, EmptyMansions, déjà là sur Geneva et Empros) qui s’est surpassé pour donner toute l’ampleur nécessaire à chaque titre.

On reste effectivement en terre surexploitée, on connaît la plupart de ces riffs par cœur, il y a de ce fait un certain confort d’écoute. Mais Russian Circles témoigne ici d’une implication totale, d’une personnalité indémontable. Souvent comparé au voisin de palier Pelican, le trio de Chicago suit pourtant une voie différente, plus intimiste, introspective, portée par la puissance du propos, un peu à la manière de l'excellent Malval de Shora. Une sensibilité unique, des vibrations fines et massives, des mélodies écorchées mais brillantes, des variables, des opposés, des nuances, Memorial c’est tout ça et sans doute plus encore, malgré sa durée atrocement courte (à peine plus de 36min), ô combien justifiée. Cette fois-ci, Russian Circles file droit, malmène et bouscule tout le monde dans la queue du post-[…] pour s’installer sereinement au premier rang et tailler le bout de gras avec les élites. Masterpiece.

Memorial intégralement disponible sur bandcamp.


Tracklist :
  1. Memoriam
  2. Deficit
  3. 1777
  4. Cheyenne
  5. Burial
  6. Ethel
  7. Lebaron
  8. Memorial

jeudi 28 novembre 2013

Les Indiens - Crâne (stoner-rock psychédélique) [2013]

Les Indiens québécois en sont à leur seconde livraison. Après un EP (ED) s’engeant dans une veine stoner rock psychédélique à l’ancienne, Crâne continue sur la lancée, biberonné à Black Sabbath, Deep Purple ou encore Kyuss et faisant honneur aux Premières Nations, d’où le patronyme plus qu’évocateur.

Pourvu d’un joli visuel qui n’entretient aucun doute sur la musique exécutée ni sur la thématique abordée, ce Crâne propose un stoner à priori classique, mais pas tant que ça. En effet, ça chante intégralement en français – chose peu courante dans le milieu – et la rugosité du rendu sonore dénote de ce que l’on entend habituellement de nos jours. Alors que l’ensemble évoque une forme de tribalisme sous-jacent, le quartet veille à placer quelques éléments typiques inhérents au style : groove lancinant, guitares fumeuses, basse épaisse et orgue hallucinogène. Le facteur psychédélique est d’ailleurs constant, responsable de l’ambiance particulière qui règne sur ce disque. Le chant en cé-fran peut décontenancer en premier lieu, mais une fois les paroles intégrées il s’accommode tout à fait à l’ensemble, bien qu’il ne soit pas toujours brillant en terme de musicalité, manquant un brin de variations (Boucane, Désert de Glace). De ce fait, une certaine lassitude est susceptible de s’installer, mais si l’écoute s’effectue dans des conditions optimales (c’est-à-dire au casque, dans le noir, tétrahydrocannabinol en complément éventuel, avec modération) on se plonge sans retenu dans un univers hors du temps aux airs de rituel chamanique, de voyage introspectif. La fin de l’objet atteint d’ailleurs des pics d’intensité réjouissants, qu’il s’agisse de La Piste des Larmes toute en progression, pas si triste, portée par de subtiles notes de guitare ainsi qu’une basse rampante et granuleuse, ou de Love Machine en "fran-glais" dans le texte, rythmiquement impeccable et clôturant parfaitement la galette.

Crâne n’est pas si facile d’approche, il ne s’apprécie pas vraiment à tout moment de la journée et demande un certain investissement personnel. Nombre d’écoutes seront nécessaires pour en capturer toute la sève mystique. Tribal, enfumé, grassouillet, ce premier long des québécois aurait une place méritée dans la discothèque de tout amateur de stoner qui se respecte. A bon entendeur, Ugh !

Disponible en vinyle ou version digitale sur bandcamp.


Tracklist :
  1. Boucane
  2. Crâne
  3. Crève-cœur
  4. Désert De Glace
  5. Mieux En Prison
  6. La Piste Des Larmes
  7. Love Machine

dimanche 17 novembre 2013

[humeurs] Lettre ouverte à Dieudonné, humoriste noir

Cher Dieudonné,

On est environ tous d'accord pour affirmer que tu es l'un des plus grands maîtres contemporains de l'humour. Un humour qui a eu tendance à disparaître ces dernières années. Un humour grinçant, subtil, fatalement dérangeant mais nécessaire et j'oserais dire, vital. Je ne citerai pas Desproges et Coluche comme références malgré le lien satyrique évident entre vous trois. Ça serait trop facile et rébarbatif.

Mais il y a une chose que j'ai du mal à saisir. Ton engagement anti-sioniste - au demeurant tout à fait respectable et utile sur le fond - me paraît parfois démesuré et même dangereux à terme. Je pense néanmoins que ton combat contre toute forme de communautarisme en général ne peut qu'être salvateur. Je comprends également, sans tout à fait la soutenir, ta démarche provocatrice lorsqu'au nom de la liberté d'expression, tu mimes un copinage avec le FN, quelques négationnistes et dictateurs, ou avec Alain Soral, pour qui j'ai un minimum d'estime par son attitude "punk" désinvolte et la pertinence de certaines de ses analyses, mais qui semble toutefois tomber dans le piège de sa propre intelligence, non sans une pointe d'arrogance et de mégalomanie, aveuglé par ses certitudes, pensant naïvement qu'une poignée de skinheads fachos comprendront ses mots, eux-mêmes très contestables. Le socialisme national n'a pas une résonance positive dans mon esprit. Selon moi et je digresse, le nationalisme ne peut être de gauche, ça n'a aucun sens (ou bien électoraliste par l'exploitation de la misère d'un peuple, voir l'Histoire), tandis que l'internationalisme, oui au contraire, ça tombe sous le sens. 
Bref, tu aimes flirter avec le "mal absolu", c'est une manière de pointer avec un certain humour noir la censure médiatique dont tu fais l'objet, ça je l'ai bien compris. Mais ne crains-tu pas d'attiser la haine que tu dénonces en te focalisant sur le sionisme, qui semble être ton propre "mal absolu" en quelque sorte ?

Ayant parcouru de nombreux commentaires sur ta page Facebook, ou sur Youtube, j'ai pris peur en lisant tout cet étalage de haine mal orthographiée envers les êtres humains de confession juive, sachant que les intégristes israélites n'y vont pas de main morte dans l'autre sens... Est-ce un dommage collatéral de ton combat ? Je t'avouerais que je ne me sens plus très à l'aise quant au renforcement de tes interventions extra-scéniques sur le sujet. Le sionisme est un intégrisme religieux à dissoudre, c'est évident. Mais le peuple juif n'a rien à voir avec ça, et une part de ton public actuel ne me paraît pas très réceptive à ce qui semble être le fond de ta pensée. J'imagine bien que ton éviction médiatique te pousse à en rajouter des couches, à appuyer là où ça fait mal, encore et encore. Mais arrive un moment où le discernement entre ton humour (ou stratégie humoristique ?) et tes convictions politiques profondes devient compliqué à avoir.

Enfin, j'aurais aimé connaître ton avis sur le dernier scandale (justifié celui-ci, dans la mesure où il n'a pas été orchestré pour voiler l'incompétence/impuissance de certains de nos dirigeants, j'ose espérer que non) de la gamine à la banane, à propos de Mme Taubira, une des rares qui ait vraisemblablement des couilles dans ce gouvernement. C'est précisément cet évènement, précédé par tant d'autres, et Yann Moix, qui m'ont poussé à t'écrire cette lettre. Tu n'es pas sans savoir qu'il y a un autre intégrisme, plutôt bien représenté chez tes "amis" du FN, derrière ces éructations haineuses et obsolètes. Je ne dis pas que tu es responsable des mots expulsés de la bouche de cette enfant éduquée au racisme, mais ne penses-tu pas que ton combat pour la liberté d'expression sur fond d'anti-sionisme ait contribué de fait et indirectement à libérer davantage cette parole nauséabonde ? Ne crains-tu pas d'amener une forme de confusion qui finirait par contredire totalement tes convictions humanistes ? Je rejoins toutefois Eric Naulleau (sûrement le mec le plus intéressant à écouter/lire dans la sphère médiatique) et toi-même sur l'idée qu'il est important de laisser les "cons" s'exprimer pour mieux les contredire. Mais je reste passablement inquiet de ces illuminés qui émergent en crachant une haine banalisée, d'un coté comme de l'autre. Peur que tu ne perde le contrôle de ton sujet.

Je n'attends pas spécialement de réponses à mes questions, bien que ça me ferait plaisir, mais je te souhaite de continuer à nous faire marrer sans détours ni tabous sur tout et n'importe quoi. Car s'il y a un lieu sans brouillard intellectuel où tu excelles, c'est bien la scène.

P.S. : Il faut reconnaître que sans toi on n'aurait peut-être pas vraiment entendu parler de sionisme, l'intégrisme islamique (et un peu catholique) ayant un certain monopole médiatique ces derniers temps. Mais attention à ne pas tomber dans une obsession qui pourrait nuire aux valeurs humanistes qui animent à priori ta personne.

Bisous.

T.

jeudi 7 novembre 2013

Vélooo - Même Pas Mal (math-rock/garage n' roll) [2012]

A l’instar de tous ces groupes français qui ont décidé d’adopter un patronyme encore plus français (Pneu, Cheveu, Papier Tigre, Chevreuil, Passe-Montagne, etc…), Vélooo ne déroge pas à la règle, qui n’en est pas une car il y a trois « o », ce qui rend la chose phonétiquement intéressante. Cela dit, le discret trio palois (ex-quartet) n’avait pas beaucoup donné signe de vie depuis 2008 et son premier EP.  Une première livraison déjà pleine de promesses qui envoyait tout valdinguer dans un brouillard rock n’ roll cradingue du plus bel effet. Quatre années plus tard, Même Pas Mal pointe le bout de son guidon, équipé de six sacoches instrumentales plus ou moins longues, et surtout consistantes.

Premier constat, Vélooo, outre son blase loufoque, a des points communs avec son compatriote de Pneu, notamment dans le choix du nom des morceaux à caractère humoristique (Moustache En Cuir, Postiche Liebe Dich, Verniverge), mais également dans ce qui nous intéresse en premier lieu ici, la musique. Une spontanéité commune, un feeling permanent, une énergie débordante. En termes de sonorités, on se rapprochera davantage d’un Don Caballero très saturé, d’un Shellac plus accessible, ou d’un Botch moins hardcore. Ce qui n’est pas banal chez Vélooo, c'est qu'on attaque directement par le digestif, un Armagnac nerveux, urgent, qui accroche bien au palet par sa texture noisy et crasseuse. Une crasse qui ne se décollera de la paroi qu’à la dernière seconde du sixième et dernier morceau de Même Pas Mal (Mamitraillette). Un nom d’album bien choisi car on a le sentiment d’être au milieu de la bagarre, où les pains sont multipliés à une cadence qui rendrait le petit jésus fou de jalousie.

On ne reprend jamais son souffle, tous les sens sont aux aguets, il faut apprivoiser l’adversaire, anticiper ses mouvements souvent imprévisibles, au potentiel de destruction redoutable. Ces gesticulations se matérialiseront par des crochets garage noise punk déconstruits, des baffes stridentes, des uppercuts aux structures hardcorisées, des béquilles mélodiques botchiennes surprenantes, le tout soutenu par une rythmique puissante et concassée juste comme il faut pour prendre son pied et bouger frénétiquement la masse crânienne. La production – qu’on imagine live – rend la basse omniprésente, centrale et celle-ci apportera une lourdeur absolument groovy à l’ensemble, la batterie n’étant évidemment pas en reste, déployant un jeu précis et inspiré, tout comme la guitare, s’alignant régulièrement sur la quatre-cordes, et s’échinant à infliger une bonne dérouillée de notes tout en conservant une fougue et une cohérence époustouflantes.

Vélooo et son Même Pas Mal à l'artwork sublime ne font pas de détours, dopés au rock n' roll, ils vont droit au but, prennent les raccourcis, les chemins de traverse dénivelés, cabossés, parsemés de trous et de pièges à ours. La formule est classique mais la fougue, l’énergie, la spontanéité, la générosité et le plaisir de pédaler ensemble supplantent toute forme de convenance. Ce trio mériterait un tour de France bien plus conséquent, au moins aussi fourni en étapes que celui de leurs compagnons de bitume cités en début de chronique.

A écouter en quatrième vitesse sur le bandcamp d'A Tant Rêver Du Roi.


Tracklist :
  1. Armagnac
  2. Tachycardie
  3. Moustache En Cuir
  4. Postiche Liebe Dich
  5. Verniverge
  6. Mamitraillette

Old Man Gloom - Christmas (sludge expérimental) [2004]

Comment peut-on produire quelque chose d’aussi malsain ? Comment en arrive-t-on à vouloir faire ressentir une telle violence à nos esgourdes fragiles ? Comment parvient-on à poser des ambiances profondes et dérangeantes comme celles qui résident en ce Christmas ? Old Man Gloom semble détenir les réponses à ces questions, et à d’autres éventuellement.

Gift le bien nommé nous mangera tout cru dès l’entame, nous infligeant volontiers - après une intro qui placera le lourd contexte de l’objet - une montagne de riffs baignés d’Isis, dans un registre bien plus gras. Le son en général est écorché, coupé, blessé, saignant abondamment de toutes parts. Un disque forcément travaillé au corps par Kurt Ballou, faisant sans aucun doute partie du haut du panier sur l’ensemble des productions du bonhomme, parvenant ici à envoyer un rendu follement organique. Le Vieil Homme Sombre quant à lui, s’évertue à nous donner d’énormes coups de butoir blindés de textures et de feeling (Skulltsorm, Sleeping With Snakes, Girth And Greed), alternant avec des nappes atmosphériques froides, grinçantes et perturbées (Gift, Something For The Mrs., Lukeness Monster). Puis vient le milieu de l’album, deux morceaux de plus de sept minutes chacun. L’un évoluant dans un ambient lumineux, presque mystique, toujours fragile (Accord-O-Matic). L’autre (The Volcano) invitant Eugene S. Robinson (Oxbow) à se faire entendre, éructant aux cotés de Turner, Scofield et Newton, sur un groove porté brillamment par la section rythmique écrasante. Un morceau magistral débordant de plaisir, regroupant toutes les sensibilités de chacun des protagonistes : hardcore, metal, sludge, noise, post-le 1er, post-le 2nd, expérimentations diverses, tout y passe.

La seconde partie de l’objet fera la part plus belle aux ambiances semi-acoustiques, imprégnées de cinéma, magnifiques. La violence sera toujours là (Girth And Greed comme un dernier sursaut), mais plus diffuse, peut-être fatiguée de s’exprimer, telle une bête poussant son dernier râle avant de s’écrouler. Trépas illustré par Valhalla, où s'immisce un accordéon, furtivement entendu sur la fin d'Accord-O-Matic, ce qui permet de justifier un peu la présence de cet instrument sur l'artwork. La clôture de seize minutes expose une forme d’au-delà saturé, où la voix fantomatique de Turner intervient, écrasée par le poids des guitares, le tout habité d’une sensation épique et d’une profondeur sans nom. Monumental.

Old Man Gloom est un agencement d’univers cohérent, équilibré et proprement viscéral. Un amalgame de sensibilités qui accouche de bébés épais et consistants. Une créature vivante, profonde, instinctive et cérébrale à la fois, n’hésitant pas à martyriser nos perceptions pour faire passer des émotions variées. Christmas a déjà neuf ans et son empreinte restera éternelle.

En écoute sur le bandcamp.


Tracklist :
  1. Gift
  2. Skullstorm
  3. Something For The Mrs.
  4. Sleeping With The Snakes
  5. Luke 1
  6. 'Tis Better To Receive
  7. Accord-O-Matic
  8. The Volcano
  9. Close Your Eyes, Roll Back Into Your Head
  10. Girth And Greed
  11. Caleb The Cowboy
  12. Viking Song
  13. Christmas Eve Parts I, II&III (Alt Version)

mardi 29 octobre 2013

Black Sabbath - 13 (heavy-metal legends) [2013]

Le cultissime groupe qui a influencé de près comme de loin plusieurs générations de musiciens est de retour, pour de bonnes ou mauvaises raisons (pécuniaires ?). LE groupe qui a donné vie à divers courants de lourdeur plus ou moins possédés qu’on nomme stoner, doom, sludge ou plus classiquement heavy metal, le groupe sans lequel le metal - justement - tel qu’on le connaît aujourd’hui ne serait rien. On ne va pas refaire l’histoire, il y a d’excellentes biographies à lire ou à relire pour ça (cf : "La Bête Venue de Birmingham" de Guillaume Roos par ex.). Le fait est que Black Sab' est bien vivant, évidemment amputé de deux membres essentiels (Ronnie James "RIP" Dio et Bill Ward), mais un certain Brad Wilk (RATM) est venu à la rescousse derrière les fûts - bien qu’il n’ait pas le feeling jazzy de Ward - soutenir les éternels Ozzy, Tony Iommi et Geezer Butler.

13 n’est pas le titre d’album le plus inspiré mais il a le mérite d’être cohérent avec son année de sortie, tout comme sa pochette exhibant le nombre maudit enflammé comme le clou d’un spectacle rituel obscur. Les 34 ans d’inactivité créatrice de ce line-up ne laissaient rien supposer de glorieux pour ce nouveau disque. On s’attendait même à une auto-parodie. En fait, ce 13 est plutôt une agréable surprise, passé deux ou trois écoutes partisanes du contre. On retrouve le Black Sab' qui nous avait laissé avec Never Say Die. Les morceaux sont d’une longueur assez élevée, parfois un peu trop, mais on se surprend à revenir dessus, le sens de la mélodie facile étant toujours d'actualité, bien que la plupart des compos manquent d’innovation par leurs alignements de riffs vus et revus. Bien sûr, on reste en terrain archi connu, Black Sabbath préfère rester sur ses acquis, et c’est plutôt une bonne chose malgré les multiples défauts qui parsèment cette galette. 


Heureusement, papa Rubin (Slayer, SOAD, RHCP, etc) veille aux manettes et redonne une seconde jeunesse au son des vieux briscards. De ce fait, End Of The Beginning ouvre puissamment l’objet par un riff massif et lancinant, et l’on (re) découvre un Prince des ténèbres assez en forme, dont le grain de voix ne semble pas avoir bougé depuis les seventies. Les soli de Iommi rugissent comme en quarante et ne servent jamais dans la démonstration crasse. La basse de Butler use de tout son espace pour exprimer la lourdeur nécessaire aux anglais. God Is Dead? confirme cette entrée en matière rassurante malgré un refrain agaçant. Iommi est alors en feu et répand tout son savoir-faire, bien aidé par le groove reconnaissable de Milk. Ce qui vient ensuite navigue entre le meilleur et le pire de Black Sabbath. Quasiment chaque titre contient son lot de réjouissances et de déceptions. La ballade de rigueur est bien présente (Zeitgeist), plutôt inspirée mais trop peu aventureuse pour être réellement intéressante. Age Of Reason montre de beaux plans rythmiques mais se fourvoie également dans le refrain niaiseux à outrance. Damaged Soul rehausse drastiquement le ton qualitatif par son harmonica joliment implanté et l’ambiance épique qui s’en dégage, un des seuls morceaux entièrement emballant. Enfin, Dear Father caresse les oreilles dans le sens du lobe sur sa première moitié, sans bousculer la mécanique hyper huilée, attaquée plus loin par la rouille, due certainement à un excès de confort musical.

Le trio de Birmingham (+ Brad Wilk), bien moins moribond et pathétique qu’on ne le pensait, a encore des atouts intéressants à faire valoir, privilégiant avec 13 un retour à la période 70/80 non négligeable. On demeure globalement dans le classique, et c’est bien là le point fort de cet album. Le reste pouvant parfois s’apparenter à un manque d’inspiration flagrant, ou bien une manière de s’attirer un succès radiophonique perdu. On attend de voir ça en concert pour le mythe, malgré tout.

13 disponible sur spotify.


Tracklist :
  1. End Of The Beginning
  2. God Is Dead?
  3. Loner
  4. Zeitgeist
  5. Age Of Reason
  6. Live Forever
  7. Damaged Soul
  8. Dear Father

lundi 28 octobre 2013

Ephel Duath - Through My Dog's Eyes (jazzcore/blues-rock/black-metal) [2009]

Quel chemin parcouru par les italiens, de leurs débuts black/jazz au jazzcore débridé de Pain Necessary To Know. Un groupe peut-être instable mais résolument incontournable et passionnant à bien des niveaux, qui a commencé à régulariser ses sorties à partir de 2009 et  ce Through My Dog’s Eyes, concept-album écrit du point de vue d’un chien, dans sa relation avec son maître notamment. Un disque inspiré par le propre canidé de Davide Tiso (guitariste et pilier fondateur d’ED), en l’occurrence.

Un regard de chien pas forcément battu qui fait dénoter sensiblement la musique d’Ephel Duath de ses précédentes tueries. Une nette touche de blues s'exprime dès Gift, par des mouvements de slide vicieux et plutôt grisants, la voix est souvent grave (sporadiquement claire et hallucinée), relativement monocorde, parfois parlée, parfois légèrement pénible et redondante (Silent Door), peut-être pour traduire le caractère casse-burnes des chiens. Mais l’on reconnaît sans mal ce qui fait la majesté du trio, ces envolées mélodiques imprévisibles et pénétrantes, cette batterie jazz tentaculaire, et ce grain hardcore qui fait dresser les poils aux moments opportuns (Promenade, Nina, Bark Loud). Alors, attention, on est assez loin de l’agressivité d’un Pain Necessary To Know ou même d’un The Painter’s Palette. L’ambiance générale est d’ailleurs plutôt détendue, toute proportion gardée. De nombreux passages laissent une bonne tribune aux notes de guitare cristallines et bluesy, toujours teintées d’une certaine noirceur blackisante. Des éléments qui font de cet album le plus accessible d’Ephel Duath, c’est vrai, bien que j’éviterais de l’offrir à ma grand-mère.

Aussi bon soit-il et aussi concept-album soit-il - peut-être trop "pensé" - ce cinquième disque n’a pas la profondeur absolument démente des deux précédents pavés. Through My Dog’s Eyes mérite son susucre, on peut être fier de lui ("are you [really] proud of me?"), mais il ne nous poussera pas à revenir dessus outre mesure, malgré sa qualité indéniable. On préférera l’écoute des grandes sœurs ou l’attente du petit dernier.

Disponible sur spotify

Tracklist :
  1. Gift
  2. Promenade
  3. Breed
  4. Silent Door
  5. Bella Morte
  6. Nina
  7. Guardian
  8. Spider Shaped Leaves
  9. Bark Loud

mercredi 16 octobre 2013

The Brutal Deceiver - Go Die. One By One (brutal deathcore groovy à mort) [2013]

Les brutaux lavallois nous avaient déjà bien massacré les esgourdes en 2010 avec une première mise en bouche (l'EP Birth Of A Decline) brûlante, furieuse et groovy au possible. Un death/hardcore dense et expéditif plutôt inédit par chez nous.

Go Die. One By One annonce la couleur. Ce disque vous agrippe les entrailles dès l’entame de Go Die jusqu’aux dernières secondes de Legacy. Les titres s’enchaînent avec une troublante fluidité malgré une débauche de violence permanente. Les corps se démembrent aussi vite que l’esprit se congestionne. C’est la guerre. La production, assurée par Amaury Sauvé (aussi batteur du groupe), est tout simplement magistrale. Chaque détail est perceptible, ce qui encourage à creuser le bestiau malgré l'instantanéité du groove envoyé. Le death/hardcore de ces gars-là gagne en hardcore (Ghosts’ Whispers, Loneliness), chatouillant du "post" parfois (Dismember Me, Legacy), la batterie déployant ses tentacules et sa fougue, les guitares et basse développant un jeu à la fois véloce, gras et strident, où quelques grincements et fulgurances Convergiennes se distinguent (We Are Legion), tout en parvenant à poser des ambiances de fin du monde plus que convaincantes, soutenues par des voix - l’une "growlée" et l’autre hurlée/scandée - d’une intensité maladive et démoniaque. Ici, la technicité du death-metal et le sens du rythme hardcore ne font plus qu’un. A l'instar du premier long des copains coreux de Birds In Row, cet album a les arguments de destruction massive suffisants pour démolir les sous-sols ricains, et ceux du monde entier dans l’absolu. Et le Hellfest par la même occasion, tiens.

The Brutal Deceiver racle le fond de ses tripes et nous les présentent sur un plateau d'argent aux finitions détaillées. Le quintet délivre également une puissance phénoménale rarement entendue dans le paysage brutal français. Go Die. One By One est une réussite à tous les niveaux, une grosse baffe dans ta gueule qui finira vers le haut de ton top 2013, à condition que tu aies bon goût en matière de violence musicale...

Toujours en écoute intégrale sur ton webzine préféré.

Tracklist :
  1. Go Die
  2. Ghosts' Whispers
  3. Disclosed Deception
  4. I Am (My Own) Apocalypse
  5. Dismember Me
  6. IIIII I
  7. Loneliness
  8. We Are Legion
  9. JSTFU
  10. Legacy

dimanche 13 octobre 2013

Equations - Frozen Caravels (math-rock congelé) [2013]

Tiens, Equations…Ne serait-ce pas un groupe de math-rock ? Vous faites bien de poser la question car on aurait pu en douter avec un patronyme pareil. Les portugais produisent effectivement quelque chose qui ressemble à du rock mathématique, avec toutes les références qui vont bien, Don Caballero et And So I Watch You From Afar en tête.

Mais, à l’instar de notre scène française qualitativement talentueuse, les petits gars de Porto ne se contentent pas de reproduire à l’identique les schémas de leurs paires. Ils savent en effet agencer de la mélodie de haute volée, scrupuleusement, méthodiquement, dans une joyeuse vélocité, sans toutefois délaisser une fibre punk bien représentée par des vocalises suraiguës, troublantes voire rebutantes en première approche, démentes et fascinantes en seconde. Bien que congelées, les caravelles ne cessent de remuer chaudement afin de se dépêtrer de la stagnation induite au froid extrême, martelées de rythmiques concassées par une batterie virtuose, de guitares volatiles contrastées par une basse souvent massive, ou encore d’un synthé spatial appuyant le groove ambiant ou les crissements d’un chant qui nuance parfois savoureusement son hystérie scandée (The Hunter And The Oak, Coronado, Running With Scissors, Domovoi). Les Equations évoluent de temps à autres en territoire post-hardcorisé, pour mieux rebondir vers de nouvelles mélodies impromptues, toujours lumineuses d’ingéniosité. On regrettera juste la courte durée de ce premier album, bouclé comme il s'est introduit. Le final (qui n’en est pas vraiment un pour le coup) paraît cependant abrupte, plutôt frustrant.

Frozen Caravels reste néanmoins un disque novateur, prometteur, gorgé d’intelligence et d’un sens mélodique assurément génial. Doté d’une personnalité déjà fortement affirmée pour son jeune âge, il faudra désormais s'appuyer aussi sur Equations pour entretenir la machine math-rock du futur. Le compte est bon.

1 + 1 = bandcamp.

  
Tracklist :
  1. Poseidon's
  2. The Hunter And The Oak
  3. Coronado
  4. Caravels Or The Geography Of The Unknown
  5. Joseph, The Gravedigger
  6. Running With Scissors
  7. Domovoi
  8. Hero Cities Of The Soviet Union
  9. Celestial Mechanics
  10. Hulls Meet December

lundi 30 septembre 2013

Tomahawk - s/t [2001] - Oddfellows [2013] (rock expérimental)

En 2000, alors que Mr Bungle vient de nous livrer un dernier coup de génie avant de mourir, l’incontournable hyperactif et créatif Mike Patton décide de donner naissance à un nouveau projet, avec l’aide du guitariste de The Jesus Lizard, Duane Denison, vite rejoints par John Stanier (ex-Helmet, Battles) et Kevin Rutmanis (The Melvins) finissant de former ce projet hors normes.

Ce premier album constitue l’une des premières sorties – après Fantômas – d’Ipecac Recordings, le label du gominé. Son univers y est donc naturellement très présent. D’emblée, on capte un retour à des sonorités un peu plus accessibles qu’un Mr Bungle par exemple (Flashback, 101 North), plus proches de Faith No More dans la démarche, ce malgré une forte présence d’expérimentations en tout genre. L’atmosphère générale se fait cinématographique, inquiétante, dérangeante et dissonante. La fameuse CiBi de Patton est maintes fois utilisée pour renforcer l’aspect oppressant des morceaux (God Hates A Coward, Pop 1, etc). La basse se fait grasse et métallique la plupart du temps, le jeu de batterie particulier de Stanier est bien reconnaissable et central sur l’ensemble des compositions de ce disque. La guitare de Denison est parfois tendue, incisive (Jockstrap, Malocchio) et souvent vicelarde (Pop 1, Point And Click), rappelant forcément mais subrepticement The Jesus Lizard. La voix de Patton – imprégnée de tous ses travaux passés – sonne presque différemment à chaque titre. Langoureuse, murmurée, criée, gutturale ou simplement chantée à la manière de FNM (Point And Click, God Hates A Coward, Pop 1, le popisant Sweet Smell Of Success, etc).

Mais qu’on se le dise, Tomahawk est Tomahawk. Avec ce premier album, le groupe, bien qu’il ait ingurgité le flagrant talent de chacun de ses musiciens, prouve bien le caractère unique de cette musique. Les nombreuses expérimentations parsemant l’objet sont là pour en témoigner, comme sur Jockstrap, où la guitare sinueuse enveloppe un chant d’angoisse et une rythmique bluesy, entrecoupée de phases rock n’ roll dégueulasses à souhait, toujours dans un esprit cinématographique. Ce dernier point semble d’ailleurs largement inspiré par le Director’s Cut de Fantômas, sorti la même année. On imagine très bien Patton vouloir retranscrire cette ambiance dans un projet parallèle moins violent et moins techniquement déconstruit, plus rock. Ce rapprochement peut aussi se faire avec Disco Volante et California de Mr Bungle. Finalement, avec le recul on s’aperçoit que ce premier jet de Tomahawk contient environ tous les éléments qui composent l’œuvre de Patton. Ses délires vocaux, son goût pour le 7ème Art, l’héritage de ses formations et collaborations passées (voire même futures), sans toutefois écarter l’influence des musiciens qui l’entourent, ce qui rend d’ailleurs la quasi-totalité de ses projets inédite et ne manquant jamais d’intérêt, que l’on n’adhère ou pas au résultat.

Tomahawk s'est autorisé une entrée fracassante en ce début de 21ème siècle. En posant les bases solides d’un rock expérimental relativement déjanté et cinéphile, le quatuor s’assure une reconnaissance qui se décuplera fatalement avec la suite de ses aventures, le magistral Mit Gas

L'objet s'écoute intégralement via deezer.




Tomahawk, sans conteste le projet le plus régulier de Mike Patton. Le bonhomme part tellement dans toutes les directions que le simple fait que le groupe soit encore en vie (et bien vivace) est un exploit. Mais le principal responsable de cette longévité est Duane Denison (The Jesus Lizard), toujours là pour amener des idées et motiver les trois autres à écrire un disque. Petit changement après six ans de silence, Trevor Dunn, l’acolyte de Patton devant l’éternel, vient remplacer à la basse un Rutmanis plus très à l’aise dans ses sandales. Enfin, le quatrième album est là et confirme un retour aux fondamentaux après un très inspiré (mais boudé) Anonymous, perdu sur les terres amérindiennes arides.

« Oddfellows » serait le nom d’un ordre secret semblable aux francs-maçons, mais seul le titre éponyme s’inspire de cette sombre organisation. Ce morceau nous embarque d’ailleurs directement en terrain connu, celui d’un rock noisy, teigneux et sournois, celui des deux premiers albums. Une enthousiasmante entrée en matière qui engendrera une tripotée de pistes contenant chacune leur part de déviance et d’ingéniosité. Alors que Dunn apporte son touché aventureux et jazzy à l’ensemble, Denison arpente les chemins sinueux d’un rock expérimental mais ouvert, Stanier nous gargarise de rythmiques à la fois souples et sèches, tandis que Patton fait péter ses vocalises et lignes de chant si reconnaissables mais toujours si grisantes et protéiformes.

Ainsi, Stone Letter - aux relents de Faith No More - réjouira les nostalgiques ; White Hats/Black Hats et South Paw ramèneront au noise rock à papa pur et dur ; le très jazz Rise Up Dirty Waters se muera en twist furieux par intermittences ; l’inquiétant et dissonant The Quiet Few maltraitera les synapses dans les règles ; Choke Neck et son ambiance bluesy délectable nous placeront au beau milieu d’un polar délirant ; ou bien Waratorium et sa composante reggae surprendront un auditoire pourtant difficile à émerveiller.

Comme à son habitude, Tomahawk explore sans contraintes toute forme d’expression musicale et artistique afin d'alimenter son rock fiévreux et cinématographique. Chaque titre aurait sa place au sein d’une bande originale pensée pour un film pluriel et sans dialogues, ou une comédie musicale complètement cramée, au choix. Cela vaut d’ailleurs pour une grande majorité des perles pondues par ce groupe hors du temps et de l’espace. A ce titre, Oddfellows devient tout aussi indispensable que le reste d'une discographie exemplaire.


Tracklist - s/t :
  1. Flashback
  2. 101 North
  3. Point And Click
  4. God Hates A Coward
  5. Pop 1
  6. Sweet Smell Of Success
  7. Sir, Yes Sir
  8. Jockstrap
  9. Cul De Sac
  10. Malocchio
  11. Honey Moon
  12. Laredo
  13. Narcosis
Tracklist - Oddfellows :
  1. Oddfellows
  2. Stone Letter
  3. I.O.U.
  4. White Hats/Black Hats
  5. A Thousand Eyes
  6. Rise Up Dirty Waters
  7. The Quiet Few
  8. I Can Almost See Them
  9. South Paw
  10. Choke Neck
  11. Waratorium
  12. Baby Let's Play
  13. Typhoon

mercredi 25 septembre 2013

GAZA - I Don't Care Where I Go When I Die [2006] - No Absolutes In Human Suffering [2012] (hardcore/doom/sludge)

Salt Lake City n’abrite pas seulement d’étranges sectes obscures à tendance polygame. On y trouve aussi des groupes de hardcore salement amochés et atypiques tels que Gaza. Un quartet qui mettra tout le monde d’accord à la livraison de son premier objet au titre réjouissant, I Don’t Care Where I Go When I Die, en 2006.

Sauvage. Première impression après l’entame expulsée sans détours dans nos oreilles non-préparées (Calf, I Don’t Care Where I Go When I Die). Une sauvagerie qui s'avérera permanente, illuminée par un rendu sonore d’une puissance pénétrante. Les guitares explosent, détruisent la rythmique de manière constante, basse et batterie écrasent ou martèlent joyeusement jusqu’à ce que le tout soit bien amalgamé avec notre métabolisme conquis. La voix, éructée et martyrisée, viendra nous vriller le cerveau par ses multiples variations hurlées effrayantes, entre Sean Ingram (Coalesce) et Jacob Bannon (Converge), une folie maladive bien particulière en plus. Alors oui, ce disque est d’une violence inouïe, mais il est surtout maitrisé de bout en bout. Le jeu de batterie est absolument dantesque sur la plupart des titres, brutal et subtil à la fois. Une majeure partie des structures est construite et alambiquée à la sauce Botch (Hospital Fat Bags, Gristle, Sire, Cult), qu’on imagine bien être une de leurs influences principales. On pourra éventuellement reconnaître un peu de Converge dans les guitares fougueuses, véloces et carnassières, ou bien du Will Haven ainsi que du Old Man Gloom sur les plus lourds passages. Des ralentissements sludge magnifiques viennent d’ailleurs enfoncer le disque davantage, en y ajoutant parfois quelques mélodies crasseuses bien senties (Hospital Fat Bags, Pork Finder), ou alternant avec brio vitesse d‘exécution et plombage gras (Sire, Hell Crown, Moth, Pork Finder). Sans détailler entièrement chaque piste, on peut constater l’appétit gargantuesque de Gaza, se nourrissant d’une bonne dose de hardcore déglingué des années 90/2000.

Mais Gaza c’est avant tout une rageuse personnalité, un putain de caractère profondément intègre et engagé, une humanité écartelée qui hurle sa colère et son désespoir face aux dogmes de la haine et de l’argent, les tripailles à l’air. Ce disque est sauvage, radical, chaotique, il nous pousse dans nos derniers retranchements émotionnels et – de ce fait – en devient indispensable.

L'objet s'écoute intégralement sur deezer.

  
Ça y est, il est là, l’increvable tigre de Gaza est de retour après deux longs formats monstrueux, deux pavés de violence magistrale et viscérale. No Absolutes In Human Suffering parle de lui-même, un nouvel aperçu du chaos dans ce qu’il a de plus maladif et brutal, crachant toujours plus de bile tenace sur les immondes travers de l'Homme.

On aura beau dire ou gesticuler d’agacement en voyant régulièrement son nom à la production d’un disque de hardcore, Kurt Ballou fait parfois des merveilles, dès lors qu’il a bien saisi l’essence d’un groupe. C’est le cas avec Gaza et son troisième objet. Un son équilibré, massif, d’une profondeur hallucinante, où les guitares semblent vivantes, vigoureuses, insaisissables. Aussi merveilleusement grasses et plombées que subtiles et fragiles. La musique du quartet s’est encore étoffée et complexifiée en incluant des structures alambiqués assez proches du jazz par endroits, un peu à la manière de The Dillinger Escape Plan (This We Celebrate, Winter In Her Blood). C’était déjà partiellement le cas autrefois mais cette composante devient relativement flagrante ici. Jon Parkin a aussi gagné en intensité, malgré le fait que sa voix soit un poil plus en retrait qu’auparavant. Cette voix écartelée, broyée, prête à faire péter les points de sutures de plaies béantes, luttant pour s’extirper d'une jungle sonore et venimeuse qui l’engloutit progressivement, lentement.

En parlant de lenteur, No Absolutes In Human Suffering laisse davantage de place aux ambiances doom/sludge, elles-mêmes plus denses et organiques, faisant apparaître d’insoupçonnées subtilités mélodiques après moult écoutes (Not With All The Hope In The World, When They Beg). Un délice pour les tympans qui ne manquera pas de rappeler le spleen de Converge période Jane Doe/You Fail Me, sans compter la présence d’un Botch malade tapi dans l’ombre (The Crown, Skull Trophy). En fait, chaque musicien remet une couche de précision et de feeling. La basse ronfle bruyamment en permanence, corroborée par une batterie sournoise, aérienne et salement brutale, Casey Hansen faisant probablement partie des frappeurs les plus intéressants du circuit hardcore. Il suffit de le voir en mouvement pour comprendre.

Gaza nous livre une nouvelle démonstration de sauvagerie, encore plus maîtrisée, domptée, déconstruite, augmentée d’un son ébouriffant et suintant le rejet définitif et légitime d’un système globalisé et uniformisé qui n’a plus lieu d’être. Non, il n’y a pas d’absolu dans la souffrance humaine, Gaza en est la preuve ultime et l’incarnation auditive désabusée.

La souffrance s'écoute sur deezer.

Tracklist - I Don't Care Where I Go When I Die :
  1. Calf
  2. I Don't Care Where I Go When I Die
  3. Hospital Fat Bags
  4. Gristle
  5. Sire
  6. Slutmaker
  7. Hell Crown
  8. Moth
  9. Cult
  10. Pork Finder
  11. Untitled
Tracklist - No Absolutes In Human Suffering :
  1. Mostly Hair And Bones Now
  2. This We Celebrate
  3. The Truth Weighs Nothing
  4. Not With All The Hope In The World
  5. The Vipers
  6. No Absolutes In Human Suffering
  7. The Crown
  8. When They Beg
  9. Winter In Her Blood
  10. Skull Trophy
  11. Routine And Then Death

Mr Bungle - Disco Volante (avant-rock/pot-exquis) [1995]

1995, Faith No More connaît un succès dégoulinant et fait naturellement la tournée des stades et autres festivals estivaux… Mike Patton, peut-être un peu las de toutes ces paillettes et surtout en mal de création, va trouver refuge dans son side-project, aujourd’hui devenu aussi culte que FNM pour les amateurs du gominé, Mr Bungle. Le clown maléfique met tout le monde d’accord avec la livraison de Disco Volante, évolution totalement hallucinée du génial et déjà bien cramé précédent opus. Si ça ne tenait qu’à moi, je dirais qu’il s’agit là du chef d’œuvre de Mr Bungle, le chef d’œuvre de Trey Spruance, Mike Patton, et Trevor Dunn. Un album référence qui donnera le ton sur les différents projets des protagonistes cités plus haut. On pensera notamment à Fantômas, Tomahawk, Secret Chiefs 3, ou encore Moonchild Trio.

Jazz, death-metal, noise, musette, pop, cabaret, etc… se succèdent, se percutent, s’accouplent pour former une sorte de créature musicale mutante, à l’apparence improbable mais dont le cœur se révèle absolument construit au fil des écoutes (qui seront nécessairement nombreuses). Disco Volante est donc une entité capable d’enfiler une multitude de visages, créée par des cerveaux malades en mal d’expérimentations. On ne sait plus où donner de la tête entre les ambiances lourdes, bruitistes et primales (Everyone I Went To Highschool With Is Dead et ses chœurs désenchantés), voire technoïdes (Desert Search For Techno Allah), les entames jazzy qui explosent sans crier gare pour enchaîner sur un plan free death, en passant par des phrases chantées, murmurées, vieillies (Carry Stress In The Jaw), hurlées la seconde d’après, accompagnées d’un accordéon puis d’une mandoline (Violenza Domestica en italo-espagnol dans le texte). Suivrons un interlude guilleret et popisant, mais aussi inquiétant (After School), puis Phlegmatics et son départ canon sur un rythme thrash metal qui se muera en dialogue déroutant entre hautbois…  Ma Meeshka Mow Skwoz, dans un délire de cirque festif, rappellera le premier LP du Bungle, ou The Bends, long morceau perturbant et perturbé, découpé en plusieurs ambiances distinctes à fort caractère cinéphile encore une fois. Backstrokin’ se pose en nouvel interlude qui fera étrangement penser au travail de Patton sur le film A Perfect Place, laissant justement place au très free jazz et cartoonesque Platypus, entamé succinctement par des riffs lourds un brin déconstruits.

Enfin, l’écoute de Merry Go Bye Bye, le titre final en deux parties - dont une cachée nommée Noises - nous achèvera dignement. Une entame enthousiaste en forme de chansonnette folk 50’s, coupée brutalement par un thrash/death des familles, agrémenté de sonorités électroniques grinçantes ou oppressantes, entrecoupé d’une ligne de guitare qui évoquera Tomahawk. Pour clore cette première partie, une chanson langoureuse apparaît, dans un style « crooner » affectionné par le gominé, qui inspirera certainement Pink Cigarette sur California. Ce qui s’apparente à la seconde partie du morceau est surtout un joyeux bordel dissonant où tout le monde évalue ses capacités à jouer faux, et ils se débrouillent plutôt bien les cons ! Quasiment inaudible mais parfait quand il s'agit de clôturer un objet musical totalement cinglé et hors du temps.

Sans nul doute, Disco Volante est de loin l’album le plus expérimental de Mr Bungle. Le groupe arrive en outre à envelopper cet amoncèlement de sonorités dans une atmosphère cinématographique tout à fait singulière bien qu’inspirée du surréalisme, qui se perçoit déjà au premier contact par le visuel du disque. Les univers de David Lynch ou de Stanley Kubrick – pour ne citer qu’eux – ne sont jamais bien loin à l’écoute d’un disque qui pourrait être la bande originale de leur œuvre la plus dérangeante. Le genre de musique que l’on écoutera dans 150 ans avec la même jouissance ressentie aujourd'hui pour Bach, Charles Mingus, Miles Davis ou John Cage. Dans le domaine de la folie créatrice, Mr Bungle intègre définitivement l’équipe des meilleurs spécialistes contemporains.

Disco Volante peut s'écouter sur Deezer.
 
  
Tracklist :
  1. Everyone I Went to High School With Is Dead
  2. Chemical Marriage
  3. Carry Stress In The Jaw + 'The Secret Song'
  4. Desert Search for Techno Allah
  5. Violenza Domestica
  6. After School Special
  7. Phlegmatics
  8. Ma Meeshka Mow Skwoz
  9. The Bends
  10. Backstrokin'
  11. Platypus
  12. Merry Go Bye Bye/Noises